Hervé Le Fur : C’est vrai que cela peut paraître assez étonnant compte tenu de l’importance et de la sensibilité de cette variable. Mais il ne faut pas perdre de vue que le prix n’est jamais qu’une des composantes du produit ; il est donc difficile de le tester en faisant abstraction du concept plus global sous-jacent à celui-ci.
Et bien sûr, il faut aussi tenir compte du fait que, dans les entreprises, le prix se détermine en grande partie en fonction des couts de production et des objectifs de rentabilité, ce qui limite donc les marges de manœuvre. En réalité, la question du juste prix se pose le plus souvent dans des conditions bien particulières, lorsqu’il y a un enjeu à repositionner un produit en perte de vitesse ou bien avec l’arrivée d’un produit concurrent.
On dit parfois en effet que les consommateurs sont plus attentifs aux prix. C’est peut-être vrai pour certains produits relativement onéreux. Mais si l’on examine de plus près la mémorisation du prix des produits achetés en supermarché, notamment des produits d’usage courant, on s’aperçoit qu’elle n’est que très approximative.
Par exemple, rares sont les personnes qui ont une connaissance correcte du prix du shampoing qu’elles achètent. Il ne faut jamais oublier que les décisions d’achats en grande surface se font souvent en quelques fractions de seconde, avec un poids extrêmement important des habitudes. Ce n’est donc pas forcément le prix « intrinsèque » qui va nous intéresser mais ce prix mis en contexte d’achat.
Je ne crois pas que cela soit l’élément d’explication majeur, mais on ne peut pas complètement exclure ce facteur. Il y a eu en effet parfois des désillusions, avec des écarts importants entre les résultats d’études et la réalité. Le fait est que cela nous a conduits à nous questionner sur la meilleure façon d’étudier cette variable prix et de proposer des alternatives en phase avec les comportements consommateurs.
Non, je ne dirais pas les choses ainsi. Ces outils restent valides, même s’il faut faire une distinction entre l’approche PSM, qui est relativement « light » et a simplement vocation à donner des ordres de grandeur, et le trade off qui reste la méthode la plus puissante. Notre démarche a plutôt consisté à essayer de déterminer les conditions à respecter pour un usage efficace de ces techniques. Au fond, il y a un point de constat relativement simple : lorsqu’on s’intéresse à des catégories de produits pour lesquelles les personnes ne font pas attention à ce qu’ils paient, ou lorsque le souvenir de la démarche est trop lointain, il y a un très grand risque d’aboutir à des conclusions erronées.
Il faut donc veiller à ce que le trade off mental fonctionne, et donc filtrer la population en fonction de sa connaissance à la fois des prix des produits, mais aussi des caractéristiques de ceux-ci. Cela nous semble en tout cas constituer une précaution essentielle, que nous utilisons notamment pour des études de type PSM, en sélectionnant exclusivement des acheteurs récents de la catégorie étudiée. Toujours dans la perspective de fiabiliser ces études de type PSM, nous sommes fortement partisans de bien prendre en compte les différents segments de clientèle, en fonction notamment de leur degré de connaissance des prix des produits et de leurs caractéristiques.
L’idée consiste à retrouver pour la catégorie 4 grands types de consommateurs. D’une part les « experts », qui ont une bonne connaissance à la fois des prix et des caractéristiques des produits. Ceux-là nous intéressent tout particulièrement. A l’opposé de ceux-ci, nous avons les « indifférents », peu impliqués et peu au fait des choses. Et par ailleurs, nous identifions des individus qui sont polarisés sur une dimension. Soit sur le prix, ce qui est le cas des Opportunistes, ou bien sur les caractéristiques des produits, ce qui est symptomatique de ceux que nous dénommons les « enthousiastes ». Nous appréhendons ces catégories de consommateurs en amont des 4 questions classiques du PSM, au travers d’une batterie d’une douzaine d’items très factuels, révélateurs de la relation à la catégorie étudiée.
Le principe est relativement simple : nous accordons une importance particulière aux experts, tout simplement parce que ce sont les consommateurs qui ont la vision la plus juste, la plus précise. Entendons-nous, il n’est pas question de ne pas tenir compte des réponses des autres segments de clientèle. Mais nous allons regarder de près les écarts de prix obtenus auprès des experts en comparaison avec les autres segments. Ils sont en quelque sorte le groupe « pivot ». Si le prix obtenu auprès des opportunistes est supérieur à celui donné par les experts, il y a manifestement un souci.
Nous utilisons donc les réponses de ce groupe de consommateurs pour effectuer un certain nombre de correctifs, et affiner ainsi la définition du prix. Cela induit bien sûr la nécessité d’avoir un effectif relativement solide d’experts, et donc en pratique de mettre en place des sur-échantillons. C’est le principe que nous utilisons avec notre approche Price Calibrator.
Un échantillon de 1000 individus constitue un idéal. Dans des univers de type Grande Consommation, on peut travailler sur une base de 500 cas. Descendre en deçà de cette taille nous semble risqué.
La limite de l’approche PSM est qu’elle fonctionne en monadique. Pour aller plus loin, il nous semble nécessaire de s’affranchir de cela, et plus globalement de veiller à la meilleure contextualisation de l’étude. Il faut mettre les consommateurs dans un contexte proche de celui qui est le leur lorsqu’ils font leurs achats et procèdent aux arbitrages que cela suppose.
C’est naturellement une option assez idéale, mais elle n’est pas si évidente à mettre en œuvre. Et la problématique du lieu est avant tout une problématique de contextualisation, la nécessité de replacer le produit dans un univers concurrentiel. On peut obtenir un premier niveau de contextualisation ne serait-ce qu’en posant aux consommateurs quelques questions très factuelles, qui leurs permettent de retrouver la disposition mentale qui est vraiment la leur face à la catégorie étudiée. Mais contextualiser, cela passe prioritairement par la nécessité de restituer l’univers concurrentiel.
Absolument. C’est clairement la technique la plus puissante et la plus précise. Compte tenu de cela et des avantages associés à la contextualisation, nous avons développé une approche qui nous semble particulièrement intéressante, avec un trade-off en linéaire virtuel. On place ainsi le produit avec son prix en linéaire, mais avec la possibilité de tester différents positionnements. Cela permet de répondre à une interrogation assez cruciale pour les industriels : le produit doit-il être positionné comme le moins cher au sein de la famille des produits haut de gamme ? Ou bien au contraire comme le haut de gamme du « pas cher » ?
Lorsqu’on étudie cela d’assez près, on voit clairement qu’à prix identique, ce positionnement suscite des comportements sensiblement différents du côté des consommateurs. Cela donne une bonne illustration de l’intérêt des travaux associés à l’économie comportementale : la façon de présenter des choses est un facteur extrêmement important à prendre en compte.
Nous avons développé une autre approche qui nous semble en effet très pertinente dans certains cas de figure, tels que les produits complexes intégrant différentes options et donc arbitrages : le « Configurateur en ligne». Le principe consiste à inviter le consommateur à définir le budget qu’il se donne pour un achat donné, et de lui proposer différentes options ou caractéristiques possibles, avec le prix associée à chacune d’elles. Il compose son menu en quelque sorte. Avec la possibilité, une fois qu’il a composé l’offre qui lui convient, de revenir en arrière pour ajuster le prix qu’il est réellement prêt à payer.
C’est une approche qui nous semble intéressante en ce sens qu’elle dépasse une des limites du trade off, ou le consommateur se retrouve face à un choix binaire : j’achète ou je n’achète pas. Avec cette méthode, on se donne les moyens de traiter les cas de figure où il y a beaucoup d’attributs et d’options possibles. On est vraiment dans une logique de personnalisation, le consommateur construit l’offre qui lui convient le mieux. Et l’on voit ainsi quel est le panier moyen, avec une appréhension très intéressante de la façon dont les consommateurs font leurs arbitrages, avec les allers-retours que cela nécessite, comme dans la vraie vie !