Paris, le 24 février,
Dans la perspective du soixantième anniversaire des accords d’Evian, qui marquent la fin de la guerre d’Algérie, Harris Interactive a réalisé pour Historia et Challenges une enquête sur les regards portés par les Algériens et les Français sur l’Histoire commune des deux pays.
Alors que les relations entre l’Algérie et la France, qui s’étaient envenimées en octobre dernier, semblent prendre une autre tournure depuis l’hommage du Président Emmanuel Macron aux victimes mortes pendant l’affaire du « Métro Charonne », quel regard portent les habitants des deux pays l’un sur l’autre ? Comment perçoivent-ils la période coloniale ? Quel regard portent-ils sur la guerre d’Algérie et l’indépendance algérienne ? Quelles sont leurs attentes pour l’avenir commun des deux pays ?
Que retenir de cette enquête ?
Soixante ans après l’indépendance de l’Algérie, les opinions vis-à-vis de chaque pays restent mitigées des deux côtés de la Méditerranée. Seule la moitié des Français (51%) et des Algériens (55%) déclarent avoir une bonne image de l’autre pays. L’expérience de la période coloniale et de la guerre d’indépendance semblent jouer dans les perceptions : les plus jeunes, qui n’ont pas connu ces deux périodes de l’Histoire, font état d’une meilleure opinion (67% des Français âgés de moins de 35 ans ; 70% des Algériens âgés entre 18 et 24 ans) que leurs aînés (62% des Français âgés de 65 ans et plus déclarent avoir une mauvaise image de l’Algérie tandis que 56% des Algériens âgés entre 45 et 54 ans font part d’une mauvaise image de la France).
En revanche, les avis diffèrent nettement entre les deux populations au sujet de la période coloniale. Si les Français se montrent partagés quant aux bénéfices de la colonisation pour l’Algérie, 51% d’entre eux estimant qu’il s’agissait d’une bonne chose pour ce pays, la quasi-totalité des Algériens considèrent que la période coloniale était une mauvaise chose (96%), voire une « très mauvaise chose » (76%) pour leur pays. Des différences de perceptions qui peuvent s’expliquer par la place occupée par chaque population dans le rapport de force engendré par la colonisation. Relevons néanmoins que les Français sont un peu moins nombreux qu’il y a 30 ans à penser que la colonisation était une bonne chose pour l’Algérie (59% en 1991), une évolution allant dans le sens du processus de reconnaissance entrepris par la France depuis le mandat du Président Jacques Chirac.
Au sujet des effets de la colonisation pour la France, là encore les Français se montrent partagés : 48% d’entre eux estiment qu’il s’agissait d’une bonne chose pour l’ex-métropole. Les Algériens semblent avoir un avis davantage tranché à ce sujet, les deux tiers d’entre eux percevant la colonisation comme une bonne chose pour la France (66%). Une perception des bénéfices pour la France qui semble surtout partagée par les plus jeunes au sein des deux pays (53% parmi les Français de moins de 35 ans ; 80% parmi les Algériens de 18 à 24 ans).
Des visions distinctes des bénéfices de la colonisation qui s’expliquent par des perceptions différentes des événements survenus durant cette époque. Car si l’idée que les « Français musulmans d’Algérie » ont beaucoup souffert pendant cette période est communément partagée des deux côtés de la Méditerranée (68% en France, 69% en Algérie), les Français perçoivent davantage la colonisation comme une période ayant permis des apports à l’Algérie : 3 Français sur 4 estiment que la période coloniale a autorisé quelques avancées en Algérie et les deux tiers d’entre eux jugent qu’il s’agissait d’une période de progrès et d’émancipation sociale en Algérie. Des avis que ne partagent que moins d’un quart des Algériens qui jugent de manière quasi-unanime cette période comme un crime contre l’humanité (notons tout de même que 48% des Français partagent cette opinion).
En ce qui concerne la guerre d’Algérie, là aussi les avis sont nettement différents au sein des deux populations. En effet, si les Français identifient des crimes commis par l’ensemble des parties prenantes (86% contre 37% chez les Algériens), les Algériens pointent davantage la responsabilité unique des acteurs français dans le conflit (57% contre 3% parmi les Français).
Ce contraste entre avis mitigé du côté français et opinion tranchée du côté algérien s’observe également lorsqu’on s’intéresse aux populations considérées comme ayant le plus souffert de la guerre d’indépendance. Si les Français se montrent plus nuancés, percevant entre autres les « pieds-noirs » (40%) et les harkis (39%) comme les principales victimes de la guerre d’indépendance, les Algériens sont plus catégoriques, estimant que seule la population musulmane algérienne (89%) et les combattants algériens (61%) ont souffert de la guerre de libération nationale.
Alors que l’Algérie célébrera en juillet prochain le soixantième anniversaire de son indépendance, celle-ci reste perçue différemment des deux rives de la Méditerranée : si les Algériens la considèrent unanimement comme une bonne chose pour leur pays (97%, dont 74% « une très bonne chose »), 2 Français sur 3 la perçoivent positivement, une proportion en hausse de 14 points depuis 30 ans. Et si l’indépendance algérienne est perçue comme une bonne chose pour la France par 7 Français sur 10, les Algériens perçoivent en majorité cet évènement comme négatif pour l’ex-puissance coloniale (81% d’entre eux la considérant comme une mauvaise chose pour la France).
Bien que les opinions des Algériens et des Français divergent sur l’ensemble de ces questions, les deux populations semblent enclines à diverses actions pour réexaminer les mémoires de la guerre d’Algérie : si Algériens comme Français perçoivent la facilitation du travail scientifique comme une bonne chose pour y parvenir, une majorité d’Algériens estiment que des excuses, le paiement de réparations voire un jugement de la France devant un tribunal international seraient les bienvenus. Relevons toutefois que seule une minorité de Français et d’Algériens pensent que les deux pays devraient cesser toute relation.
A quelques semaines de la commémoration des accords d’Evian, la question de l’Histoire franco-algérienne suscite des opinions divergentes des deux côtés de la Méditerranée. Si les Français se montrent globalement plus partagés, les Algériens font preuve d’avis nettement plus catégoriques vis-à-vis de ces différents évènements historiques. Des opinions divergentes, qui semblent avant tout s’expliquer par des expériences différentes de ces périodes historiques ainsi que des récits et mémoires officielles distinctes entretenues dans les deux pays.