Enquête réalisée en ligne les 15 et 16 juin 2016. Échantillon de 2 086 personnes, représentatif des Français âgés de 18 ans et plus. Méthode des quotas et redressement appliqués aux variables suivantes : sexe, âge, catégorie socioprofessionnelle et région de l’interviewé(e).
En décembre 2015 (voir notre étude pour RTL) , comme en chaque fin d’année, Harris Interactive a interrogé les Français afin de connaître les priorités qu’ils attribuent au gouvernement pour l’année à venir et la probabilité, selon eux, que les choses évoluent dans les différents domaines au cours des 12 mois suivants. Ainsi, ils considéraient le chômage comme la première des priorités pour le gouvernement (77%), mais seuls 16% pensaient que la situation de l’emploi allait s’améliorer au cours de l’année 2016.
Dans ce contexte d’attentes fortes dans le domaine de l’emploi, et de défiance non moins importante vis-à-vis de la vie politique, François Hollande et le gouvernement de Manuel Valls ont décidé de proposer un projet de loi ayant pour objectif de « donner plus de place à la négociation collective dans le droit du travail pour renforcer la compétitivité de l’économie et développer l’emploi. »
Alors que ce projet de loi se distingue notamment par la diversité des sujets qu’il aborde (compte personnel d’activité, hiérarchie des normes, motifs de licenciement économique, etc.), ainsi que par les grèves et manifestations qu’il suscite, LCP a sollicité Harris Interactive pour mieux comprendre comment les Français perçoivent ce projet de loi et, au-delà des représentations, ce qu’ils en retiennent ?
Que retenir de cette enquête ?
Les Français ne déclarent pas tous le même niveau d’information sur le contenu du projet de loi Travail, et sont peu en mesure de citer précisément les mesures qu’ils jugent positives et négatives.
2/3 des Français affichent leur opposition au projet de loi travail. Cependant la primauté de l’accord d’entreprise sur l’accord de branche est plutôt bien accueillie, sauf par les catégories apparaissant comme les plus fragiles sur le marché du travail.
- Appelés à évoquer le projet de loi Travail, les Français utilisent spontanément des termes descriptifs (« loi », « réforme »), évoquent ses modalités de mise en œuvre (« gouvernement », « 49-3 ») et les oppositions qu’il suscite (« manifestations », « grèves », « CGT », « casseurs »). Est également évoqué le fond du projet, la plupart du temps afin d’en critiquer l’orientation jugée trop défavorable aux « salariés » (« travailleurs », « mauvaise », « arnaque », régression », patrons »). Notons dès à présent qu’en première approche, peu de mesures concrètes sont spontanément évoquées par les Français.

- Ces évocations spontanées portant peu sur le fond de la loi peuvent être en partie expliquées par un niveau d’information limité vis-à-vis du projet de loi : si 45% des Français s’estiment bien informés sur son contenu (dont 9% très bien informés), ils sont néanmoins plus d’1 sur 2 à considérer qu’ils sont mal informés (54%, dont 14% très mal informés).Notons qu’en conformité avec ce qui peut être mesuré dans les différentes études réalisées par Harris Interactive, les hommes (51%), les plus âgés (51% des 50 ans et plus) et les plus diplômés (50% des titulaires d’un diplôme supérieur à Bac+2) s’estiment davantage informés que la moyenne, quand les femmes et les plus jeunes adoptent davantage la position contraire. D’un point de vue politique, ce sont les sympathisants du Front de Gauche (64%), mais également du Front National (53%), qui se sentent les mieux informés sur le contenu de la loi Travail.

- Depuis la dernière mesure réalisée par Harris Interactive, les opinions vis-à-vis de la loi Travail se sont cristallisées et polarisées : désormais seuls 2% des Français ne se positionnement pas (soit un recul de 8 points en 4 mois) alors que 31% d’entre eux se montrent en faveur du projet de loi (+1) et 67% opposés (+7), dont 36% « tout à fait opposés » (+6).Notons également que les catégories de la population parmi lesquelles le soutien est plus important que la moyenne correspondent souvent aux mieux intégrées (hommes, plus de 65 ans, PCS+, plus diplômés, plus aisés) alors que les catégories souvent les plus fragiles font davantage part de leur opposition (femmes, jeunes, peu ou pas diplômés, moins aisés).
Ici encore, la proximité aux partis politiques perçus comme alternatifs (Front de Gauche ou Europe Écologie Les Verts à gauche, le Front National à la droite de la droite) va souvent de pair avec une contestation plus forte du projet de loi Travail.

- Afin de mesurer plus spécifiquement la connaissance et l’appréciation des mesures contenues dans le projet de loi Travail, Harris Interactive a demandé aux Français de citer spontanément la meilleure mesure, selon eux, de ce projet de loi.Après codification, un tiers d’entre eux (34%) ne souhaite pas répondre à la question alors que 66% le font. 27% des Français estiment ainsi qu’aucune mesure n’est positive, alors que 14% évoquent davantage des idées générales que des mesures concrètes (notamment la flexibilité, 4%, la prise de décision au sein de l’entreprise, 3%). Ainsi, seuls 17% des Français sont en capacité de citer une mesure précise, principalement l’article 2 relatif à la hiérarchie des normes (7%) ou les référendums d’entreprise (3%).

- Le même exercice a été réalisé pour la mesure jugée « la moins bonne ».
Ici encore, près des 2/3 des Français expriment une réponse (64%, contre 36% ne se prononçant pas). Dans une position de rejet univoque, 9% des Français estiment que toutes les mesures sont négatives, alors que 9% citent ici encore des domaines généraux, et en particulier la faible protection des salariés (3%).Enfin, un quart des Français (26%) évoque une mesure précise comme « moins bonne mesure », notamment la possibilité de négocier la rémunération des heures supplémentaires au sein de l’entreprise (8%) et, dans une moindre mesure, l’article 2 (5%), la possibilité d’augmenter la durée du temps de travail (5%) et la facilitation des licenciements économiques (5%).

- Parmi les mesures suscitant le plus de débats médiatiques, l’évolution de la hiérarchie des normes qui ferait désormais primer l’accord d’entreprise sur l’accord de branche s’avère particulièrement clivante au sein des Français. Ainsi, seuls 37% d’entre eux privilégient le statu quo, et donc la primauté de l’accord de branche. Cette prise de position s’explique en partie par la crainte d’une situation voyant l’intérêt du patronat mieux représenté au sein de l’entreprise que celui des salariés, et donc, à terme, une perte d’acquis sociaux. C’est donc logiquement les sympathisants des partis de la gauche de la gauche qui affirment majoritairement, mais non unanimement, leur soutien à cette solution.À l’inverse, 61% des Français se prononcent en faveur d’une détermination des conditions de travail par les accords d’entreprise. Cette prise de position s’avère justifiée par la diversité qui existe entre les entreprises, y compris au sein d’un même secteur, ainsi que par la faible confiance, et parfois même représentativité, reconnue aux représentants syndicaux. Notons enfin que si les soutiens de la loi Travail penchent très majoritairement en faveur de cette dernière solution, les opposants se montrent partagés entre l’accord de branche (46%) et l’accord d’entreprise (52%).

- En dépassant le strict cadre du projet de loi Travail, les Français se montrent partagés lorsqu’ils évoquent l’opportunité d’une baisse de rémunération des heures supplémentaires en contrepartie d’un maintien de l’emploi dans une entreprise en difficultés économiques : 48% s’y disent favorables alors que 49% affirment leur opposition (dont 24% tout à fait opposés). Dans des conditions similaires, une augmentation du temps de travail sans augmentation salariale leur apparaît comme moins acceptable, 40% y étant favorables alors que 58% s’y disent opposés (dont 29% tout à fait opposés).Ici encore, tout comme pour la loi Travail dans son ensemble, les catégories de la population généralement considérées comme les plus protégées dans le monde professionnel (hommes, plus âgés, plus diplômés, plus aisés) se montrent majoritairement en faveur de ces propositions, alors que les plus fragiles font montre d’une opposition particulièrement nette (femmes, jeunes, catégories populaires, moins diplômés, moins aisés). Notons que ce qui pourrait être considéré comme un schisme social répond également à une large fracture politique, les sympathisants du Front de Gauche et du Front National assumant leur opposition à ces deux propositions alors que ceux du Parti socialiste ou de la formation « Les Républicains » y portent un regard majoritairement positif.
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