Enquête réalisée en ligne du 11 au 14 octobre 2019. Échantillon de 1000 personnes représentatif des Français âgés de 18 ans et plus. Méthode des quotas et redressement appliqués aux variables suivantes : sexe, âge, catégorie socioprofessionnelle et région de l’interviewé(e).
Quels sont les principaux enseignements de cette enquête ?
Les comportements genrés, non admis en entreprise
Société en miniature, le monde du travail est-il le reflet des tensions entre hommes et femmes qui existent au sein de la société ? C’est ce que se propose d’explorer cette nouvelle vague d’enquête de l’Observatoire de l’égalité femmes-hommes.
Premier constat : dans le contexte professionnel, la majorité des Français considère qu’hommes et femmes n’ont pas de compétences ou de qualités différentes. Une représentation qui varie peu selon les différentes strates de population, et notamment selon les sexes, avec cependant un léger écart entre les Français issus des catégories les plus populaires (peut-être davantage confrontés à des métiers physiques) et ceux issus des catégories aisées (peut-être davantage confrontés à des emplois de bureau), ces derniers accentuant encore l’absence de différence entre hommes et femmes.
Forts de cette appréhension égalitaire du monde du travail, les Français considèrent que les comportements genrés n’y sont pas acceptables, et les femmes, notamment les plus âgées ou issues des catégories socio-professionnelles supérieures, se font l’écho d’un rejet particulièrement prononcé. Le fait qu’une entreprise propose des salaires différents pour le même poste entre hommes et femmes (90%), les réflexions relatives au physique (88%) et les généralités sur les caractéristiques professionnelles des hommes et des femmes (83%) sont ainsi massivement réprouvés dans le cadre professionnel. Dans un contexte post #metoo, les plaisanteries à caractère grivois sont également exclues par les Français (78%), tout comme les généralités sur les caractéristiques personnelles, cette fois, des hommes et des femmes (74%) et le fait de considérer qu’on est plus adapté pour remplir certaines missions en fonction de son sexe (70%). Le comportement le mieux accepté par les Français (36% l’acceptent) est qu’une entreprise accorde en priorité des congés parentaux aux femmes plutôt qu’aux hommes. On notera néanmoins que les plus jeunes, qui sont moins nombreux à avoir connu la réalité de l’entreprise et en ayant le moins d’expérience, se prononcent pour une plus grande liberté de la parole et des gestes dans le monde du travail.
L’autocensure en entreprise : vécue par tous, à des niveaux différents
Hommes et femmes qui ont déjà exercé une activité professionnelle témoignent de comportements d’autocensure, mais sur différents plans. Les femmes, et notamment les plus jeunes, expliquent pour plus de la moitié d’entre elles, avoir déjà eu le sentiment de travailler plus dur, en recevant moins de considération qu’un homme. Un tiers ensuite, et à nouveau davantage chez les jeunes et les femmes issues des catégories aisées, déclarent avoir déjà renoncé à exprimer leur opinion de peur de ne pas être écoutée en tant que femmes, avoir laissé un homme parlé alors qu’elle maîtrisaient mieux le sujet mieux que lui, ou avoir laissé une mission qu’elles désiraient être confiée à un homme.
Les hommes de leur côté, témoignent eux aussi d’auto-restrictions inversées par rapport aux femmes, et qui se veulent des comportements positifs à leur égard. Ils ont ainsi davantage eu le sentiment se taire pour laisser la place à des femmes, même alors qu’ils maîtrisaient mieux le sujet qu’elles (49%) ou de laisser des missions qu’ils désirent leur être confiées au profit des femmes (37%). Ils montrent ainsi pour une partie non négligeable d’entre eux une attitude positive envers les femmes et témoignent de leur bonne volonté à leur laisser de la place dans un univers où elles sont plus fréquemment mises au second plan. Beaucoup plus rares sont ceux qui ont le sentiment de subir de véritables discrimination, comme de travailler plus dur pour moins de considération (24%) ou de renoncer à s’exprimer face à des femmes parce qu’ils estimaient qu’ils ne seraient pas écoutés (19%).
Sexisme et harcèlement dans le contexte professionnel
Chez ceux qui ont déjà travaillé, hommes comme femmes, les situations sexistes, déplacées, inadéquates dans le contexte professionnel sont sinon fréquentes, au moins présentes, à des degrés divers : 63% estiment ainsi avoir été confrontés, eux-mêmes, à au moins une situation gênante au cours de leur vie professionnelle. (remarques sur leur physique ou sur leur intelligence, remarques ou gestes déplacées, comportements assimilables à du harcèlement sexuel)
Si les femmes sont un peu plus nombreuses à déclarer avoir reçu des remarques qu’elles considéraient comme déplacées (56%), les hommes estiment ne pas être épargnés au quotidien, près d’un sur deux déclarant y avoir été confronté (46%). Les moqueries ou réflexions dégradantes sur les capacités intellectuelles semblent même concerner davantage les hommes (32%) que les femmes (30%), qui elles estiment subir davantage de réflexions quant à leur physique (34% contre 31%). Si les écarts sont présents, existent, ils ne sont ainsi pas majeurs entre les hommes et les femmes, qui, chacun, considèrent subir des réflexions au quotidien.
Les véritables divergences entre hommes et femmes apparaissent ainsi lorsqu’on aborde les comportements à caractère sexualisé. Les femmes sont néanmoins beaucoup plus nombreuses à témoigner, dans le contexte professionnel, de gestes à leur égard qu’elles ont considérés comme déplacés (39% contre 24%), signe d’une divergence profonde, lorsque l’on passe du stade de la remarque à celui des comportements. Bien plus nombreuses également (près d’un quart, 24% contre 14% des hommes) sont celles qui estiment avoir subi des comportements qu’elles assimilent à du harcèlement sexuel (propos, pressions ou comportements répétés connotés sexuellement ou attouchements sexuels). On note par ailleurs que les plus jeunes, sur ces différents comportements, ont une sensibilité particulière : ils sont chaque fois plus nombreux à estimer avoir subi des remarques ou des gestes déplacés, signe, sinon d’une augmentation de ces types de comportements, d’une attention et d’un refus de laisser passer plus grand à leur égard aujourd’hui.
Le constat de comportements déplacés en entreprise ne s’arrête pas à la propre personne des interrogés, qui expliquent également avoir été témoins, dans une proportion similaire, de cas de ce type concernant leurs collègues. On note néanmoins des possibilités de décalage, entre les perceptions de celui qui reçoit ces remarques et gestes et ceux des observateurs. 41% des Français estiment ainsi avoir déjà considéré comme déplacés des comportements tenus à l’égard d’un ou d’une de leur collègue qu’ils ont eux-mêmes considérés comme déplacés, quand leur collègue n’y voyait pas d’inconvénients. Près d’un tiers (30% et jusqu’à 37% chez les hommes les plus jeunes) racontent également avoir considéré qu’un ou une collègue avait sur-réagi face à une remarque, qu’eux-mêmes n’avait pas considérée comme déplacée.
Lutter contre le harcèlement sexuel, quels recours ?
Ceux qui ont confié avoir déjà été confrontés à des situations qu’ils considéraient relever du harcèlement sexuel dans le contexte du travail déclarent majoritairement en avoir parlé autour d’eux, et en premier lieu à leurs collègues (54%) ou à leurs proches (48%), la moitié allant jusqu’à confronter directement la personne leur faisant subir ce harcèlement (50%). Si, au total, 76% en ont parlé au sein de leur entreprise, seuls 28% déclarent s’être confiés à leur management et 23% aux services des ressources humaines de l’entreprise, qui n’apparaissent pas comme des ressources évidentes. Un peu moins d’un tiers (31%) affirme enfin avoir eu recours à l’assistance de personnes dans le registre médico-légal : avocats ou police (17%), médecin ou inspection du travail (17%), médecin personnel (18%). Les personnes qui s’estiment victimes de harcèlement sexuel recherchent ainsi en premier lieu à régler le problème par eux-mêmes en direct ou en consultant en priorité leurs cercles proches, dans une volonté, lorsque c’est possible, de ne pas ébruiter ou complexifier la situation.
Pourtant, l’assistance d’un avocat s’avère être, pour les Français, le recours jugé le plus efficace pour mettre fin à une situation de harcèlement (68%). Alerter l’inspection du travail (60%) ou faire appel à une association (60%), c’est-à-dire, faire intervenir un tiers sont des solutions qu’ils envisagent tout autant, en termes d’efficacité, que la confrontation directe avec l’agresseur (59%). Et si alerter ses collègues (54%) ou les ressources humaines (51%) apparaissent comme des solutions envisageables, elles restent mises au second plan par les Français, tout comme le fait d’alerter ses managers (49%) ou la médecine du travail (45%). Les Français considèrent ainsi qu’il vaut mieux, dans ces cas, pour être efficace, faire appel à des tiers ou prendre en main la situation personnellement plutôt que se référer à des personnes au sein de l’entreprise.