Paris, le 31 août,
Liberté, égalité, fraternité : quelle appréhension de cette devise par les Français ? C’est la question à laquelle Toluna-Harris Interactive a cherché à répondre pour Challenges. Et les réponses montrent de nombreux paradoxes présents chez les Français.
Téléchargez l’analyse de Jean-Daniel Lévy
Clairement identifiée comme la devise de la République française, l’expression « Liberté, Egalité, Fraternité » suscite une forme d’attachement chez 83% des Français. Cet attachement moral à la devise de la République française se heurte à la réalité du pays telle qu’elle est perçue par les Français : seulement un sur deux estime que le triptyque correspond bien à la France et à peine un tiers juge qu’il conserve encore tout son sens.
Ce hiatus entre devise proclamée et réalité perçue, se retrouve également dans l’écart qui existe entre les valeurs qui animent les Français et celles qui trouvent un écho dans notre société. Ainsi, si le respect constitue la valeur cardinale de nos compatriotes (76% indiquent qu’elle est très importante), seulement un tiers des personnes interrogées estime qu’il caractérise la société française actuelle. Un constat similaire observé avec d’autres valeurs telles que la justice (65% déclarent la considérer comme très importante, contre 40% qui la considèrent comme présente), l’écoute (56% contre 39%) ou encore la tolérance (51% contre 43%).
La devise de la République se compose de trois termes vis-à-vis desquels les Français ne font pas montre du même attachement. Ainsi, les Français privilégient assez nettement la valeur de « Liberté » (54%) au détriment des deux autres (égalité : 29% ; fraternité : 17%). Et là encore, une nouvelle remise en question de la concrétisation de ces valeurs républicaines : à peine 1 Français sur 2 considère que la liberté est respectée en France (54%), quand ils ne sont qu’un tiers à en percevoir le respect concernant la fraternité (35%) et l’égalité (31%). Constituant l’un des pans majeurs du principe de liberté, la liberté d’expression semble elle aussi être mise à mal selon les Français, avec une distinction marquée dans leur application entre la liberté d’expression des médias (62% la jugent bien respectée) et celle des citoyens (53%).
Qui, dans ce contexte, peut faire vivre la devise nationale ? La logique institutionnelle serait de se tourner en premier lieu vers les responsables politiques. L’opinion des Français est toute différente : près de 9 sur 10 pensent à leurs proches et seul 1 sur 5 aux formations politiques. Les préposés à l’action ne relèvent donc pas du mandat électif et ne semblent pas être les acteurs de la définition de la manifestation de l’intérêt général.
Les paradoxes trouvent des traductions concrètes. Oui, les Français sont attachés à la liberté. Pour autant, dans certaines circonstances, ils sont prêts à en rabattre sur leurs exigences. Ainsi en est-il lorsqu’il s’agit de sécurité ou de santé : les deux tiers de nos compatriotes sont favorables à une réduction des libertés publiques lorsque la sécurité du pays n’est pas garantie ou encore lorsque des enjeux en matière de santé sont présents. Néanmoins, les Français se montrent moins unanimes quant à l’usage de la réduction des libertés publiques par l’Etat : 40% estiment que l’Etat n’y a pas assez souvent recours, 30% ni trop ni pas assez souvent, 29% trop souvent.
Oui, les Français sont attachés à la fraternité. Reste que 3 Français sur 4 estiment que la mise en place d’aides décourage les gens à trouver des solutions pour s’en sortir eux-mêmes (tout en étant favorables à l’aide aux plus fragiles par la société). Et malgré les critiques adressées à l’égard du système de protection sociale – la moitié de nos compatriotes considérant qu’il existe trop d’aides sociales en France et près des trois quarts qu’elles sont allouées de manière injuste – les Français se montrent majoritairement satisfaits de celui-ci (67%) jusqu’à se prononcer en faveur de son maintien (64%).
Cette attitude paradoxale en matière de fraternité se retrouve également lorsque les Français sont interrogés sur le sujet de l’immigration. Accueillir des étrangers ? Les Français sont majoritairement pour… mais à certaines conditions. 14% déclarent que la France devrait accueillir sur son sol toutes les personnes étrangères qui le souhaitent et 61% seulement certaines personnes en fonction de leurs capacités. Une attitude ambivalente qui peut notamment s’expliquer par un brassage socio-culturel relatif au sein de la société française, moins d’1 Français sur 4 indiquant être tous les jours en contact avec une personne avec un profil différent du leur, que ce soit en termes de couleur de peau (25%), de religion (22%) ou de nationalité (20%), pouvant induire à des représentations négatives des personnes d’origine étrangère.
Oui, enfin, les Français sont attachés à l’égalité. Tout d’abord, dans le domaine du travail. Une part non négligeable de nos compatriotes estiment que le niveau de rémunération des salariés en France s’est dégradé au cours des dernières années (46%), ce qui les conduit à repenser la distribution des richesses : 59% se prononcent en faveur de l’instauration d’un écart maximum entre le plus faible et le plus important salaire au sein des entreprises ; 91% voient de manière positive la loi favorisant le partage de la valeur et la distribution d’une partie des bénéfices aux salariés ; 77% se disent favorables à la réintroduction de l’ISF et 69% au recours au CV anonyme par les entreprises.
Enfin, les répondants à notre enquête regardent indirectement le politique et l’éducation nationale. Acteur visant, entre-autre, à former des citoyens, l’école fonctionne mal disent deux-tiers des personnes interrogées. Et si l’ascenseur social ne fonctionne pas (constat partagé par 57% des Français) c’est essentiellement du fait des défaillances de l’éducation nationale (42%).
Tout laisse à penser que les Français n’ont pas fait le deuil de leurs aspirations. Et que s’ils sont attachés à la liberté, à l’égalité et à la fraternité c’est uniquement la première qui est, aux yeux d’une petite majorité, respectée. Est-ce de leur fait ? « Non » répondent-ils. C’est aux autres d’agir. Encore un paradoxe français.