Paris, le 13 mars,
Depuis 2018, LCL s’attache, à travers un Observatoire des urbains, à interroger les représentations des habitants des grandes villes françaises, observer leurs habitudes, mesurer leurs perceptions, pour mieux comprendre ce qu’ils attendent aujourd’hui de la vie en ville. Particulièrement bousculée pendant la crise sanitaire, la vie des urbains a dû évoluer au rythme des différents confinements et des restrictions plus ou moins bien vécues. Puis, à mesure que le spectre de la crise s’est éloigné, la vie en ville a semblé s’apaiser, permettant aux urbains de retrouver leurs habitudes, de les mêler à de nouvelles, et de se projeter à nouveau dans des exigences vis-à-vis de leur vie en ville.
Dans ce contexte, LCL a souhaité investiguer deux thématiques pour l’édition 2022 de son Observatoire des urbains : d’abord, un premier volet d’enquête a été mené à la mi-année sur le rapport à la ville selon le genre, révélant une certaine asymétrie entre hommes et femmes dans la manière de vivre la vie en ville (rapport au temps, à la sécurité, etc.). Puis, en fin d’année, un second volet d’enquête a interrogé les urbains sur leur rapport à la mobilité et aux transports en ville : comment les urbains vivent-ils leur mobilité aujourd’hui, près de 3 ans après le premier confinement ? L’impact de la crise sanitaire se ressent-il encore aujourd’hui sur leurs habitudes de déplacement ? À quels types de mobilité les urbains aspirent-ils pour l’avenir ?
Comme lors du premier volet d’enquête, deux méthodologies distinctes ont été couplées pour mieux répondre à ces questionnements.
Que retenir de cette enquête ?
Vivre en ville, des fondamentaux stabilisés après la crise sanitaire
Vivre en ville est un plaisir qui ne se dément pas, même après les ébranlements apportés par la crise sanitaire pour les urbains. Synonyme d’ouverture, d’opportunités, d’une vie culturelle forte, de sorties ou encore de rencontres, la vie en ville est appréciée des urbains. 77% d’entre eux estiment plaisant d’habiter en ville, un chiffre stable dans le temps, et 74% estiment vivre leur propre quotidien de manière sereine. Des nuances sont toutefois à apporter à ce tableau d’ensemble favorable : d’abord, comme lors des éditions précédentes, les urbains ne sont que 20% à juger la vie en ville « très plaisante » quand 57% la trouvent seulement « plutôt plaisante », signe que leur environnement quotidien pourrait encore être amélioré à leurs yeux. Et en effet, les échanges qualitatifs mettent en avant d’emblée certaines difficultés à vivre en ville, parallèlement aux atouts mentionnés : stress, rapidité, absence de calme et de tranquillité… constituent les principaux revers de la vie urbaine, avec le coût de la vie. Deuxième bémol : les urbains ont pour certains le sentiment de payer encore aujourd’hui le prix de la crise sanitaire, puisque 32% d’entre eux estiment « moins plaisant » de vivre en ville depuis ce bouleversement (contre seulement 22% qui trouvent au contraire cela « plus plaisant »). Tout se passe comme si les séquelles de la crise se faisaient donc encore ressentir à l’orée de l’année 2023, alors que la phase de crise elle-même est révolue depuis plusieurs mois. Aussi, lorsque les urbains comparent la situation actuelle avec celle d’avant-crise, le diagnostic est loin d’être agréable : pour une part non négligeable de la population, il est plus difficile de se retrouver dans des foules ou des grands rassemblements (54%), de rencontrer de nouvelles personnes (40%), ou encore de prendre les transports en commun (39%). Un sentiment de légère agoraphobie également exprimé lors des groupes qualitatifs. Enfin, troisième bémol, lié au précédent : si 74% des urbains se sentent sereins dans leur vie quotidienne… 26% se disent au contraire stressés. Un chiffre tendanciellement plus élevé qu’en juin dernier (+3 points), tout comme le sentiment d’insécurité (25%, +4 points par rapport à juin dernier).
La diversité des moyens de transports, garante d’une certaine efficacité
Concernant les modes de transports en ville, les urbains mettent l’accent sur leur diversité et leur efficacité : 76% d’entre eux jugent que la mobilité dans leur ville est diversifiée, 75% qu’elle est pratique. On la trouve aussi rapide (65%) et même agréable pour 62%. Mais dans le même temps, on la trouve encombrée (68%), chère (65%) et polluante (64%). Ces perceptions sont relativement similaires quel que soit le moyen de transport utilisé, même si les usagers des transports en commun mettent particulièrement l’accent sur l’aspect diversifié, pratique, rapide mais également encombré, de la mobilité dans leur ville. Les échanges qualitatifs mettent également en exergue une mobilité inégale, capricieuse, dépendante des aléas du quotidien, peu fiable, inégale selon les horaires ou les territoires (plus ou moins accessibles, plus ou moins bien desservis), etc.
Des attitudes mitigées quant aux récentes évolutions des moyens de transport urbains
Quant aux dernières évolutions observées dans les modes de transport en ville (réduction de la place de la voiture au profit de mobilités plus douces), les urbains s’y montrent plutôt favorables, surtout les plus jeunes. Toutefois, ils expriment certaines réserves : premièrement, toutes les mobilités douces ne se valent pas à leurs yeux. A cet égard, 76% voient l’essor des vélos dans le trafic urbain comme une bonne évolution, quand ils ne sont que 46% à en dire autant pour les trottinettes. Mais surtout, les urbains expriment une position ambiguë voire dissonante quant à la réduction de la place de la voiture en ville : 56% y voient une bonne évolution contre 44% une mauvaise. Ils sont donc très divisés à ce sujet, une division qui s’observe aussi chez les utilisateurs quotidiens de la voiture eux-mêmes (49% vs. 51%). Cette contradiction apparente peut s’interpréter comme une forme de « dissonance cognitive » chez certains urbains, qui peuvent juger que la voiture n’a plus forcément sa place dans les villes (ou au moins dans les hyper-centres), tout en continuant de l’utiliser, avec le sentiment de ne pas pouvoir s’en passer.
Le regard des urbains sur leur propre mobilité aujourd’hui : des évolutions réelles mais parfois surestimées
Bouleversante à tous points de vue, la crise sanitaire a fortement ébranlé la manière qu’ont les urbains d’envisager leurs déplacements. Ainsi, la moitié d’entre eux (51%) ont le sentiment que leur propre usage des transports a évolué par rapport à l’avant-crise. Notamment, les urbains ont eu le sentiment de changer de mode de transport pour des raisons de santé (58%), pour des raisons environnementales (53%), ou économiques (51%). Et pourtant, si l’on compare les fréquences d’utilisation déclarées aujourd’hui à celles mesurées en 2018, avant la crise, les différences sont plutôt ténues. On utilise un peu moins la voiture (66% chaque semaine, contre 70% en 2018, soit -4 points) mais tout autant les transports en commun (42% chaque semaine). De manière un peu plus saillante, l’usage du vélo semble s’être élargi (23% chaque semaine, contre 18% en 2018, soit +5 points). Dans les groupes qualitatifs, on relève une forme de distance vis-à-vis des transports en commun : marche à pied, télétravail, évitement de certains horaires… Plusieurs stratégies sont évoquées pour éviter les transports collectifs, notamment le métro. Même si proportionnellement les urbains prennent aussi souvent les transports en commun qu’avant, on voit que ces types de transport, au moins dans les mentalités, n’apparaissent plus autant comme un incontournable de la vie urbaine aujourd’hui.
À certains égards, les urbains marquent une tendance à surestimer l’ampleur des changements dans leurs propres modes de déplacements au cours des dernières années. D’autre part, leurs habitudes de déplacement semblent évoluer moins vite que ce qu’ils avaient anticipé en 2018. En effet, à l’époque, 53% d’entre eux anticipaient qu’ils auraient une voiture électrique ou hybride d’ici les 5 prochaines années. Aujourd’hui, seuls 23% indiquent en avoir une. 36% anticipaient qu’ils auraient un vélo électrique, et 25% déclarent utiliser aujourd’hui ce moyen de transport. 34% anticipaient qu’ils utiliseraient régulièrement les moyens de transport partagés… et seuls 24% indiquent qu’ils le font aujourd’hui. En revanche, les urbains semblent mieux réussir à se passer de la voiture que ce qu’ils imaginaient en 2018 : à l’époque, 35% indiquaient qu’ils pourraient s’en passer d’ici 5 ans… quand aujourd’hui, pas moins de 48% déclarent se passer de la voiture au quotidien. Ce qui suggère, non pas qu’ils n’ont jamais recours à la voiture, mais plutôt qu’ils réduisent la fréquence de leurs trajets en voiture.
Malgré tout, on constate que les urbains sont plus nombreux aujourd’hui à avoir testé un certain nombre de nouvelles solutions de transport qu’il y a 4 ans. Qu’il s’agisse des VTC (31%), des vélos en libre-service (22%), ou des trottinettes électriques en libre-service (17%), les urbains sont aujourd’hui plus nombreux à avoir essayé chacune de ces solutions. Certes, dans les 3 cas, la proportion reste minoritaire (moins d’1/3), mais l’augmentation est palpable, en particulier pour les trottinettes (respectivement, +5 points, +7 points et +10 points par rapport à 2018). Seule exception à ce phénomène : le covoiturage, qui semble avoir été mis de côté. En effet, avec un taux de 29% cette année contre 30% en 2018, c’est le seul moyen de transport qui ne connaît pas d’augmentation, parmi les 6 proposés. Les perceptions recueillies dans le cadre de l’étude qualitative confirment cette observation, et certains participants mentionnent la crise sanitaire parmi les raisons possibles de cette mise à l’écart du covoiturage.
Concernant les applications de navigation, les pratiques semblent avoir relativement peu changé par rapport à 2018. Les urbains s’appuyaient déjà sur divers supports pour organiser leurs trajets et continuent de le faire aujourd’hui. En particulier, ils trouvent utiles les services de géolocalisation (Google Maps, etc., 83%) et les applications GPS type Waze ou Citymapper (71%). Ces dernières étant davantage appréciées qu’il y a 4 ans (+4 points), tandis que les autres types d’application de navigation (applications type SNCF, RATP, services de localisation des parkings, services de location de véhicules en libre-service…) semblent légèrement en perte de vitesse.
Une cohabitation difficile entre les différents modes de transport
Comment les urbains vivent-ils les différents modes de transport qui s’offrent à eux ? Chaque option offre ses avantages (praticité, diversité, fiabilité pour les transports en commun ; liberté, flexibilité et tranquillité pour la voiture ; fluidité, liberté, et accessibilité financière pour les mobilités douces…) mais aussi son lot d’inconvénients. Les transports en commun sont associés à la promiscuité, un coût parfois jugé excessif, un réseau parfois insuffisant. Synonyme d’embouteillages, de pollution et de problèmes de stationnement, la voiture en ville semble de plus en plus mal vécue. Quant aux mobilités douces, elles semblent brouiller le paysage urbain et contribuent à rendre la circulation plus chaotique aux yeux des habitants : en effet, 57% des urbains estiment qu’il est difficile pour les usagers de vélos ou de trottinettes de cohabiter avec les autres modes de transport (un jugement cependant moins fréquent chez les utilisateurs eux-mêmes que chez les non-utilisateurs). Et pour cause, on considère souvent que les infrastructures ne sont pas adaptées à la circulation de ces modes de transport (voirie inadaptée pour 48%, espaces de parking insuffisants pour 51%). Ce qui résulte dans un sentiment de sécurité plutôt fragile : en effet, seuls 48% des cyclistes de sentent en sécurité lorsqu’ils se déplacent, tandis qu’ils sont un peu plus nombreux (64%) parmi les usagers de trottinettes. Les groupes qualitatifs corroborent assez largement ces enseignements, en mettant l’accent sur un certain retard d’adaptation de la voirie face à l’essor très rapide des modes de transport doux. Pour améliorer la sécurité, les participants appellent de leurs vœux une meilleure séparation des modes de transport.
Pour l’avenir, des attentes particulièrement dirigées vers les solutions de partage, sans négliger l’offre de transports en commun
Si les urbains ont le sentiment que leur mobilité a changé au cours des dernières années, en particulier après la crise sanitaire, ils considèrent plutôt ces évolutions comme le début d’un processus de transition que comme une phase révolue : en effet, lorsqu’ils se projettent sur leur future mobilité à 5 ans, ils ne dépeignent pas leur mobilité actuelle. Globalement, ils font les mêmes pronostics qu’en 2018 : utilisation des transports en commun pour 62% (-5 points vs. 2018), d’une voiture électrique pour 55% (+2 points), d’un vélo électrique pour 39% (+3 points), et de moyens de transports partagés pour 34% (stable). Les transports en commun apparaissent donc toujours en tête, même s’ils semblent légèrement moins privilégiés qu’en 2018, tandis que les modes de transports électriques semblent avoir davantage le vent en poupe.
Plus généralement, pour une majorité d’urbains, l’avenir de la mobilité dans leur ville doit se construire d’abord sur des solutions collectives ou partagées (59%), plutôt que sur la propriété privée de moyens de transport individuels (36%). À cet égard, lorsqu’ils évaluent les infrastructures de leur ville aujourd’hui, les urbains pointent le doigt sur un certain nombre de faiblesses. Certains mentionnent par exemple des insuffisances dans l’offre de transports partagés (46%), le nombre de pistes cyclables (45%), ou encore dans les aménagements et les mesures incitatives à l’autopartage (55%). Et parmi les mesures qui leur semblent les plus souhaitables pour l’avenir, développer l’offre de vélos électriques en libre-service apparaît en 3e position, devant le développement du métro ou des TER/ RER. Enfin, particulièrement aux yeux des automobilistes, face à la « guerre » déclarée à la voiture en ville, les solutions de transport partagées (et notamment de voitures électriques) apparaissent comme une solution prometteuse qu’il faudrait développer davantage.
Toutefois, les transports en commun ne sont pas en reste (en particulier chez les plus âgés) : certes, le métro semble moins apprécié voire évité par certains, et les urbains ne semblent pas compter dessus pour l’avenir de leurs mobilités, mais les autres types de transports en commun leur paraissent plus prometteurs : ainsi, le développement du réseau des bus et des tramways figurent en tête des mesures souhaitées par les urbains pour l’avenir de leur ville. Et les enseignements des groupes qualitatifs le confirment : la place des transports en commun n’est pas vraiment remise en question. Aussi, la proximité avec les transports en commun reste invariablement perçue comme une nécessité et un critère important dans le choix du logement.
Plus globalement, les différents éléments de cette enquête nous apprennent que l’avenir des mobilités urbaines s’envisage souvent différemment selon l’âge. Avec, chez les plus jeunes, des attentes particulièrement fortes concernant les nouvelles mobilités (libre-service, mobilités douces…), tandis que leurs aînés mettent davantage l’accent sur la qualité du réseau de transports en commun. Néanmoins, les différentes générations se rejoignent sur certains modes de transport comme le tramway, les voitures en libre-service, ou encore le réseau de TER/RER, qui sont autant envisagés par les plus jeunes que par les plus âgés.