Comment les familles françaises se sont-elles réinventées à l’heure des vies confinées ? La crise a-t-elle fragilisé ou renforcé les liens intergénérationnels ?
Méthodologie : étude réalisée en ligne auprès d’un échantillon de 2 123 personnes représentatif des Français âgés de 15 ans et plus. Méthode des quotas et redressement appliqués aux variables suivantes : sexe, âge, catégorie socioprofessionnelle, région et taille d’agglomération de l’interviewé(e).
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Alors que le monde est sur le point de tourner la page d’une année 2020 en tous points exceptionnelle, et que la France en termine avec son deuxième confinement, le Secrétariat d’Etat chargé de l’Enfance et des Familles a sollicité Harris Interactive pour mener une étude pionnière afin de comprendre la manière dont les familles ont vécu cette année. Au-delà des écueils qu’elles ont dû surmonter, se pose la question de la manière dont elles ont agi pour pouvoir se réinventer tout au long de l’année au fil des évènements, premier confinement, période estivale, rentrée puis deuxième confinement, afin d’entretenir ce lien fondamental qui se tisse au sein du foyer et se vit au fil de la vie plus ou moins à distance les uns des autres. Voici quelques éléments de réponses sur la manière dont ces familles ont su relever / relèvent le défi de la crise sanitaire et des confinements.
Une période plutôt bien vécue grâce à la résilience apprise lors du premier confinement
- L’année 2020 a été vécue par les familles comme une période de doutes (67% ressentent plus d’incompréhension que d’habitude) et de tristesse (65%), voire de fatigue (62%). Elle a également été marquée par l’omniprésence de l’inquiétude sanitaire, avant tout pour autrui (73% des parents se sont inquiétés pour la santé de leurs enfants, 69% des Français pour celle de leurs ainés) mais également pour soi (58%).
- Dans une France toujours confinée en cette fin d’année, une courte majorité de Français estime à un niveau personnel que la crise est facile à vivre (53%, mais seulement 8% « très facile ») alors que 47% pensent le contraire, un sentiment plus vif chez les femmes ou au sein des catégories modestes, en particulier parmi ceux qui souffrent du fait de devoir limiter les contacts physiques.
- Notons néanmoins que les dynamiques à l’oeuvre au cours des périodes successives ayant ponctué cette année particulière s’avèrent souvent différentes : pour un tiers des Français le deuxième confinement est plus facile à vivre que le premier (c’est notamment le cas des plus jeunes) car ils ont su faire preuve de résilience et d’adaptabilité face une situation qu’ils ont découvert en mars dernier et qui aujourd’hui n’est plus nouvelle. A l’inverse, pour 30% des Français ce nouveau confinement est plus difficile que le précédent (et notamment auprès des cadres et des familles monoparentales) et pour 36% il est inchangé (opinion particulièrement partagée par les plus âgés). Ces Français qui ne voient pas d’amélioration s’avèrent plutôt confrontés à de nouvelles difficultés qui n’existaient pas au printemps (63%) qu’aux prises avec les mêmes dont ils ne parviendraient pas à se défaire (36%). Notons d’ailleurs que 40% des Français estiment qu’ils n’ont jamais réussi à revenir à un rythme de vie « normal » à l’issue du premier confinement (notamment les plus âgés), ayant donc vécu non moins de 9 mois loin de leurs repères du quotidien.
Face à la solitude et sur fond de vives inquiétudes, la pandémie a permis plus d’échanges familiaux
- Au moment d’évoquer la crise qu’ils vivent depuis plusieurs mois, les Français mentionnent notamment de manière spontanée la solitude partagée par certains de leurs compatriotes. Sur ce point, l’inquiétude se porte sur la situation des aînés que 78% des Français voient en proie avec la difficulté de vivre loin de leurs proches. Cette distance imposée par la situation et les pouvoirs publics constitue une réelle difficulté pour 32% des Français qui disent même que cela leur « pèse énormément » et n’arrivent pas à s’y habituer. Une situation particulièrement mal vécue par les plus jeunes, et les habitants d’Ile-de-France, les ainés partageant les mêmes regrets mais réussissant davantage à faire preuve de résilience.
- Dans ce contexte de repli subi sur le coeur de la cellule familiale (quelle que soit sa composition), les Français indiquent avoir mis à profit la période pour développer une meilleure écoute de leurs proches (48%) et remettre les échanges au coeur du foyer (avec l’épidémie comme sujet important mais pas indépassable). Ainsi, une courte majorité de Français affirme avoir réussi, malgré le confinement et donc parfois la distance, à conserver le même niveau d’échange avec ses proches qu’avant la crise. Et près d’un quart d’entre eux a même pu renforcer la fréquence de ces échanges dans ces temps exceptionnels. Cela a été perçu comme plutôt facile à mettre en oeuvre pour plus de 8 Français sur 10. Ces évolutions ont évidemment été rendues possibles par le recours aux nouveaux outils de communication, 74% des Français indiquant avoir régulièrement appelé leurs proches (avec ou sans vidéo). Notons tout de même que ces solutions sont effectivement louées pour leur capacité de permettre aux personnes isolées de se sentir moins seules (72%), mais comportent un risque que les Français n’éludent pas : celui de voir les inégalités se creuser entre utilisateurs et populations moins à l’aise avec les outils numériques (75%). D’autant que nombreux sont ceux qui estiment que ces pratiques nouvelles ou renforcées au cours de cette année sont appelées à s’installer durablement (71%)
Les parents à l’écoute de leurs enfants face au triple enjeu de la cohabitation, de l’enseignement à la maison et des écrans
- Durant cette période de crise (et notamment de confinements), le rôle des parents se révèle essentiel. Plus de 7 parents sur 10 affirment que leurs enfants comprennent bien la situation et moins d’un sur deux qu’ils s’inquiètent pour leur santé. Toutefois, plus d’1 parent sur 4 (28%) font part de leur inquiétude quant à l’impact psychologique de la crise à moyen terme et l’empreinte qu’elle laissera à leur progéniture.
- Les périodes de confinement ont constitué des parenthèses singulières dans la vie d’un foyer. D’une manière générale, la cohabitation entre les différents membres du foyer a été plutôt facile (78%, mais 67% pour ceux qui vivent avec des enfants). Elles ont permis dans les faits et naturellement à une large majorité de parents de passer plus de temps avec leurs enfants (84%, notamment les cadres et personnes ayant beaucoup télétravaillé) bien qu’ils estiment pour près d’un tiers d’entre eux (31%) que ces moments de partage étaient, du fait du contexte, de moins bonne qualité (contre 53% considérant qu’ils étaient de meilleure qualité). Cette cohabitation a été marquée par une plus forte sollicitation ressentie de la part des parents (41%), notamment pour calmer des inquiétudes elles aussi exacerbées (39%). Un défi d’autant plus grand que les parents se sont trouvés privés au cours de ces périodes de l’appui parfois précieux des autres membres de la famille et notamment des grands-parents, une situation regrettée par 41% des parents.
- Le rapport à l’instruction et aux contenus pédagogiques a également marqué les parents. Lors du deuxième confinement, les établissements scolaires restés ouverts ont proposé une qualité qu’accueil aux enfants que les parents ont dans leur grande majorité trouvée satisfaisante (82%). Leur fermeture lors du premier confinement avait davantage interpellé des parents qui ont dû s’improviser en pédagogues à domicile, un rôle que 64% des parents ont jugé facile à tenir. Au-delà des contenus à inculquer, la seule maîtrise des outils numériques nécessaires au développement de cet apprentissage à la maison a constitué une première épreuve pour 44% des parents ayant été très directement confrontés à leurs limites en la matière.
- Au-delà de leur place dans le développement d’une nouvelle manière de transmettre et d’apprendre, ces outils numériques ont constitué un défi important pour les parents, en tant que loisirs très attractifs pour des enfants désormais sommés de rester chez eux, et des adultes présents physiquement au même endroit mais pour nombre d’entre eux accaparés par leur activité professionnelle (qui se déroule depuis plusieurs mois pour certains à la maison également). Si 65% des parents estiment qu’il a été facile de contrôler l’utilisation des écrans au sein de leur foyer, seulement 24% affirment que cela a été « très facile ». Par ailleurs, ils sont 55% à indiquer avoir rencontré des difficultés sur la gestion du temps et 39% sur le contrôle des contenus visionnés. Certes ces difficultés préexistaient au confinement (28%), mais ont largement été exacerbées durant cette période nous disent les parents (52%). Face à cet enjeu, 62% des parents concernés déclarent avoir mis en place un moyen de contrôle, plus précisément un système de contrôle parental pour 49% d’entre eux. Parmi ces derniers, 55% affirment l’avoir activé sur tous les équipements du foyer, alors que les autres ont été plus sélectifs et ont privilégié avant tout la protection des seuls écrans utilisés par l’enfant.
- Au global, les familles avec enfants font montre d’un volontarisme appuyé au quotidien pour traverser la crise sanitaire et les confinements, relevant les défis de la cohabitation, de l’éducation à domicile conjuguée parfois au télétravail et de la gestion du rapport aux écrans. Notons toutefois qu’une minorité loin d’être marginale des parents rencontrent également de nombreuses difficultés en cette période. Et si les Français estiment majoritairement in fine que les relations avec les enfants au sein du foyer se sont confortées (62%) voire même améliorées (27%) au cours de cette période, ces chiffres plutôt positifs masquent toutefois des disparités parfois importantes selon le profil et la situation des familles (par exemple 16% des personnes ayant télétravaillé déclarent qu’elles se sont dégradées contre 11% en moyenne).
A l’avenir, le souhait de retrouver ses proches sur fond de craintes à l’égard de la crise économique et sociale
- A l’heure où s’esquisse (peut-être) la fin du deuxième confinement, les Français mettent en tête de leurs priorités les retrouvailles avec leurs proches dont ils ont si longtemps été séparés, qu’il s’agisse de la famille ne partageant pas le même foyer (43%, et même 60% chez les 65 ans et plus) ou bien des amis (41%). Une minorité non négligeable de Français (20%) reconnaissent même avoir culpabilisé de ne pas avoir été suffisamment présents pour leurs proches durant cette période.
- S’ils tirent un bilan plutôt positif de la période (60%, et seulement 18% estiment que la crise sanitaire et le confinement ont eu un impact négatif sur l’ambiance dans la famille), considérant que la crise a permis d’inventer de nouvelles manières de vivre en famille, leurs attentes pour l’avenir sont importantes : ils appellent de leurs voeux davantage de prévention (69% considèrent qu’il s’agit d’un axe tout à fait prioritaire) et la mise en place d’un dispositif de soutien économique (62%). En termes d’aide, les mesures mises en place durant la période sont davantage connues dans leur principe que dans leurs modalités précises. Et les attentes restent fortes également, les Français attendant déjà que les mesures qui leur seront imposées soient moins contraignantes (notamment pour pouvoir continuer à voir ses proches, sa famille) et qu’un soutien économique leur soit apporté.
- On le voit, les familles tentent de se réinventer (parfois non sans difficultés) pour faire face à la crise sanitaire et aux confinements. Cependant, le souhait de retrouver ses proches apparaît désormais essentiel. Et les craintes se déportent du foyer vers la société, avec en toile de fond des craintes et des attentes importantes face à une crise économique et sociale dont certains craignent voire anticipent déjà les conséquences (38%).
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