Enquête réalisée par Harris Interactive en ligne du 27 septembre au 1er octobre 2021 auprès d’un échantillon de 1 107 salariés travaillant dans des entreprises privées de 100 salariés et plus ou dans le secteur public, issus d’un échantillon de 2 466 personnes représentatif de la population française âgée de 18 à 65 ans.
Méthode des quotas et redressement appliqués aux variables suivantes : sexe, âge, catégorie socio-professionnelle, et région d’habitation de l’interviewé(e).
Paris, le 15 octobre 2021,
En 2018, l’IST et le Crif s’étaient associés à Harris Interactive pour interroger les dirigeants d’entreprise et les représentants du personnel sur la façon dont ils percevaient les enjeux et la réalité de l’expression du fait religieux au travail. Cette année, ils ont souhaité compléter et élargir ce point de vue en se concentrant sur le regard des salariés sur cette question, l’occasion de mesurer les points de convergence et de divergence entre ce regard et celui des dirigeants.
Nous avons interrogé un échantillon de salariés issus d’entreprises de 100 salariés et plus et du secteur public. Par convention, dans la note d’analyse qui suit, on parlera de “salariés” pour désigner la population interrogée.
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Que retenir de cette enquête ?
Les salariés français se montrent plutôt réticents aux formes d’expression religieuse au travail
- De manière générale, la majorité des salariés interrogés se montrent peu à l’aise avec l’expression du fait religieux au travail : près des deux tiers d’entre eux (64%) estiment qu’il s’agit d’un problème important pour eux, une proportion encore plus importante parmi la frange la plus âgée (70% chez les 50-65 ans). Ainsi, la plupart d’entre eux se déclarent opposés à différentes formes d’aménagement liés à la pratique religieuse sur le lieu de travail, qu’ils soient formels (72%) ou informels – c’est-à-dire d’un commun accord avec le responsable hiérarchique – (70%), que l’on parle d’aménagements d’espaces comme des salles de prière (71%) ou de la possibilité de porter le voile dans l’entreprise / établissement (68%). Avec là encore, une distinction selon l’âge, les plus jeunes se montrant, tout comme les salariés du privé, un peu plus favorables que la moyenne à ces différents types d’aménagements. Notons néanmoins que les dirigeants d’entreprise interrogés en 2018 se montraient encore plus opposés que les salariés à ces aménagements.
- Toutes les pratiques ne sont pas rejetées, dès lors que la religion reste strictement cantonnée à l’espace privé: ainsi, par exemple, 69% des salariés considèrent le fait qu’une personne pose un jour de congés pour raisons religieuses comme acceptable (nettement moins toutefois que les dirigeants d’entreprises qui étaient 93% à adopter cette position en 2018). En revanche, les comportements impliquant les relations avec les autres, et plus particulièrement le refus d’entrer en contact, sont très largement rejetés par les salariés. Ainsi, seulement 16% estiment acceptable qu’on puisse refuser de s’asseoir là où une personne de l’autre sexe s’est précédemment assise, moins de 20% qu’un prestataire de service refuse le contact avec certains clients selon le sexe ou la religion de ces derniers, ou 25% qu’une personne ne serre pas la main d’une personne de l’autre sexe. Des pratiques rejetées de manière un peu moins nette que la moyenne par les salariés les plus jeunes et ceux issus du secteur privé.
Les salariés face à l’expression du fait religieux sur leur propre lieu de travail
- Parmi les salariés interrogés, plus d’un tiers (35%) déclarent avoir déjà été confrontés à des faits religieux sur leur lieu de travail, dont 14% évoquent des comportements réguliers et 21% des faits occasionnels ou rares. Ils sont même plus nombreux parmi les jeunes actifs de 25-34 ans (48%), les catégories aisées (40%) et les salariés du privé (39%). Des proportions nettement plus importantes que parmi les dirigeants interrogés en 2018 (seulement 18% d’entre eux en faisaient état, dont 4% pour des comportements réguliers), ce qui tendrait à faire penser qu’un certain nombre de faits religieux perçus par la base ne sont pas forcément identifiés par la direction des entreprises.
- Trois types de faits religieux sont principalement relevés par les salariés : des signes religieux ostentatoires (32%), des demandes alimentaires en lien avec la pratique religieuse (29%) et des demandes de congés liés à une fête religieuse qui n’est pas un jour férié (27%). A noter que les prières ne sont relevées que par 18% des salariés, quand elles faisaient partie des faits religieux les plus cités par les dirigeants il y a 3 ans, à hauteur de 48%, presque au même niveau que les demandes de congés pour raison religieuse (53%). De manière générale, on peut observer que les faits religieux davantage cités par les dirigeants que par les salariés, et donc ceux pour lesquels l’information circule et « remonte » mieux au sein des organisations, sont de deux natures différentes: des faits d’ordre « administratif », liés à l’organisation interne (demandes de congés, aménagements du temps de travail) et des faits ayant un potentiel conflictuel plus élevé que la moyenne (prières, refus d’entrer en contact avec certaines personnes ou d’effectuer certaines tâches).
Le fait religieux au travail : une situation qui a tendance à déranger, mais est généralement considérée comme bien gérée
- On l’a vu, la majorité des salariés se disent gênés par l’irruption du religieux dans le monde de l’entreprise. De fait, 68% de ceux qui ont eu connaissance de faits religieux sur leur lieu de travail déclarent que cela les a dérangés. Dans la plupart des cas, ils en ont eu connaissance en en étant personnellement témoins (45%) ou via d’autres salariés (36%). Et la réaction la plus courante a été d’en parler à ses collègues (30%) ou à son responsable hiérarchique direct (21%). On constate à chaque fois que l’information est diffusée en priorité entre pairs, voire avec le niveau N+1, plutôt que de manière plus « verticale » (direction, RH, instances représentatives du personnel), ce qui pourrait expliquer pourquoi les salariés perçoivent davantage de faits religieux que les dirigeants. D’ailleurs, ceux qui n’ont jamais été confrontés à des faits religieux estiment que le cas échéant ils se tourneraient également en priorité vers leurs collègues ou leur responsable hiérarchique direct pour en parler. Notons que dans la plupart des cas, les salariés concernés estiment que la situation a été globalement bien gérée par leur entreprise / établissement (76%).
- Il n’en reste pas moins que les salariés ne semblent pas toujours bien préparés à l’existence éventuelle de faits religieux au sein de leur organisation: au global, seulement 32% d’entre eux ont déjà échangé, avant qu’un cas ne se présente, sur ce qui se passerait dans le cas d’un fait religieux au sein de leur entreprise / établissement, et 21% avec leurs RH ou leurs délégués syndicaux / représentants du personnel. Et près de la moitié (46%) admettent ne pas savoir si le règlement intérieur de leur entreprise / établissement intègre des dispositions relatives aux faits religieux (quand 25% affirment que c’est le cas et 29% pensent que ça ne l’est pas).
- Par ailleurs, 63% d’entre eux estiment que les représentants du personnel devraient jouer un rôle particulier en cas de fait religieux sur le lieu de travail (66% chez les salariés du privé). Pour près de la moitié des salariés interrogés, celui-ci devrait être en priorité de rappeler les règles aux personnes concernées (45%), les autres estimant qu’il s’agirait avant tout d’échanger le plus en amont avec les personnes concernées pour désamorcer les conflits (26%), ou bien de jouer le rôle de médiateur entre la direction et les personnes en cause (18%).
Regard sur l’évolution de l’expression de faits religieux au travail et dans la société française
- Au global, la plupart des salariés n’observent pas une dynamique très forte dans l’émergence de faits religieux sur leur lieu de travail au cours des dernières années : en effet, si 19% d’entre eux estiment qu’il y a plus de faits religieux dans leur entreprise / établissement qu’il y a 5 ans et 9% qu’il y en a moins, 72% ne voient pas d’évolution récente majeure à ce sujet. En revanche, cette dynamique est nettement plus marquée quand on élargit le regard au-delà de sa propre organisation: ainsi, si plus de la moitié des salariés (59%) ont le sentiment que les faits religieux n’ont pas sensiblement évolué sur le lieu de travail en France depuis 5 ans de manière générale, 34% estiment qu’il y en a plus alors que seulement 7% pensent qu’il y en a moins. Au-delà du lieu de travail, 47% pensent même qu’il y a davantage de faits religieux qui s’expriment au sein de la société française (quand 8% pensent l’inverse).
Focus sur les plus jeunes et les salariés du secteur privé
- De manière générale, les salariés les plus jeunes et ceux issus du secteur privé déclarent plus que la moyenne avoir déjà été confrontés à des faits religieux avérés au sein de leur entreprise / établissement : c’est le cas pour 48% des 25-34 ans et 39% des salariés du privé (contre 35% en moyenne). Et ils sont également un peu plus nombreux que la moyenne à noter une progression des faits religieux sur leur lieu de travail au cours des dernières années, mais aussi à avoir eu l’occasion d’échanger en amont sur le sujet à l’intérieur de leur organisation. En parallèle, ils se montrent un peu moins gênés par cette existence de faits religieux sur le lieu de travail (43% des moins de 35 ans estiment que ce n’est pas un problème important, contre 35% en moyenne), et un peu plus favorables que la moyenne à différents types de pratiques ou différents types d’aménagements (temps de travail, espaces dédiés, port du voile) ayant pour effet de rendre la religion plus visible au sein des organisations.
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