Paris, le 24 mars,
Usage des écrans, connaissance des risques sur Internet, troubles de l’attention, de la vue et de la concentration, application du contrôle parental… Le débat sur les usages du numérique et d’Internet par les plus jeunes est au cœur de l’actualité, que l’on évoque ses bienfaits comme ses dangers et ses dérives.
Dans ce contexte, afin de mieux connaitre la réalité des enjeux du numérique et leur appréhension par les jeunes générations et leurs parents, l’Association E-Enfance 3018 avec le soutien de Google France ont demandé à Toluna-Harris Interactive de réaliser une enquête destinée à mieux comprendre la manière dont l’initiation des enfants âgés de 6 à 10 ans s’effectue, la manière dont les parents accompagnent leurs enfants dans ce domaine. Ont ainsi été interrogés des enfants ayant fait récemment leurs premiers pas dans le numérique et des parents qui, en moyenne, constituent les premières générations de géniteurs « digital natives ».
Pour aborder ce sujet sous tous ses angles, un dispositif d’enquêtes mixtes a été déployé, incluant une enquête quantitative « en miroir » permettant de mettre en perspective le point de vue de parents d’enfants âgés de 6 à 10 ans et celui d’enfants issus de cette tranche d’âge. Pour compléter cette enquête quantitative, une étude qualitative a également été menée, auprès de 2 groupes de parents d’enfants de 7 à 9 ans et 2 groupes d’enfants âgés de 7 à 9 ans.
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Que retenir de cette enquête ?
L’accès à Internet par les enfants est perçu aujourd’hui incontournable et jugé globalement « maîtrisé » par les parents mais suscite des inquiétudes
Marqueur de notre époque, le numérique s’est imposé dans notre quotidien. L’apprentissage d’Internet est aujourd’hui considéré comme un incontournable pour cette génération « alpha » (c’est-à-dire les enfants nés depuis 2010) : 2/3 des parents et 3/4 des enfants de cette tranche d’âge estiment que l’apprentissage d’Internet avant 10 ans est important. Rappelons que les parents interrogés pour cette enquête sont en moyenne nés dans les années 1990, et, au même âge que leur enfant, ont vécu l’essor d’Internet.
Plusieurs bénéfices associés à cet usage sont mis en avant pour justifier de cette importance et notamment des bénéfices fonctionnels qui s’ancrent largement dans l’univers des connaissances et de l’information. L’opportunité pour l’enfant de développer sa curiosité, de s’amuser, de se détendre est également restituée.
Enclins au dialogue concernant ces enjeux (plus de 8 parents sur 10 abordent facilement ces enjeux avec leurs enfants, et plus encore les familles monoparentales/ recomposées confrontées à la difficulté au quotidien d’assurer un cadre constant à leur enfant), sans doute, au moins en tendance, plus intuitifs face aux outils et ressources numériques que leurs ainés, cette génération de parents exprime néanmoins une inquiétude majoritaire (60%) concernant l’utilisation d’Internet par leur enfant. Une inquiétude inhérente aux risques associés à l’utilisation d’internet dont les enfants ont conscience pour 82% d’entre eux. Les risques exogènes (ceux qu’on ne va donc pas maitriser) constituent le ferment principal de l’inquiétude des parents : l’exposition à des contenus inadaptés auxquels l’enfant peut avoir accès (78% inquiets dont 40% « très inquiets »), le risque de harcèlement, les personnes auxquelles il pourrait être exposé (74%) ainsi que les fake news (72%). Le temps de connexion et plus globalement les conséquences potentielles de l’utilisation d’Internet par les enfants sur leur santé physique et/ou mentale tout en constituant des risques loin d’être ignorés par les parents demeurent toutefois à l’heure actuelle au second plan : risque d’isolement, gestion du temps de connexion (59% respectivement), conséquences sur le développement de l’enfant et gestion de la déconnexion (54% respectivement). En outre, sur ce dernier point, notons que quand une majorité de parents interrogés déclarent qu’il est facile de gérer différents aspects liés à l’utilisation d’Internet par leurs enfants, seul un enfant deux estime pour sa part qu’il est facile de s’arrêter lorsqu’il utilise Internet.
Dans ce contexte, les parents s’accordent à penser qu’un cadre est nécessaire pour accompagner ces premiers temps d’expérience et protéger leurs enfants. Un cadre plus ou moins souple, visant à mettre en place un certain nombre de règles concernant notamment les moments de connexion et usages autorisés ou non notamment, des règles bien identifiées par les enfants eux-mêmes.
C’est en partie du fait même de l’existence de ce cadre que va découler en partie le sentiment de « maitriser » les usages faits d’Internet par les enfants, un sentiment partagé par une large majorité de parents. Ce « cadre » peut selon les cas reposer avant tout sur la confiance et le dialogue ou prioritairement sur le recours à des solutions qui au-delà de l’accompagnement visent davantage à contrôler l’utilisation du web par les enfants.
Plus précisément sur ce point, l’étude qualitative a révélé deux grands types de parentalités, les uns adoptant une attitude plutôt « souple », cherchant à instaurer une complicité avec la volonté d’accorder une certaine liberté à l’enfant. Une liberté qui se trouve souvent mise à mal au fur et à mesure que les enfants cherchent à s’en affranchir et que les dangers, réels ou craints, augmentent. Les autres prônant une approche plus « stricte », teintée d’une forme d’hypervigilance, imposant une discipline ferme et une surveillance constante de l’enfant, de peur de le laisser seul face à un monde numérique potentiellement rempli de menaces et sans doute aussi pour se rassurer soi-même.
Quelle que soit la posture adoptée, on relève donc a minima une volonté de ces parents de ne pas être passifs dans le cadre de cette utilisation. A ce titre, relevons que dans la majorité des premiers usages d’Internet, l’accompagnement précède l’autonomie de l’enfant (une utilisation accompagnée en moyenne à entre 5 et 6 ans, et une autonomie qui s’installe à l’approche des 7 ans).
Des efforts déployés qui masquent néanmoins des failles qui alertent sur la nécessité d’aller plus loin dans la prévention et la protection des enfants face aux enjeux d’Internet.
Si l’importance de l’enjeu constitue un socle commun et admis de tous, que le rôle des parents semble plus qu’important pour favoriser les bonnes pratiques, cette génération de parents, elle-même en proie à un usage souvent intensif de ce media, a-t-elle toujours les moyens de mettre en œuvre ou d’appliquer les règles idéalement posées ?
Premier point d’attention, une initiation à Internet dans les faits plus précoce que prévu, favorisée par la crise sanitaire et les différents confinements, et le plus souvent liée à son utilisation dans le cadre scolaire ou encore sous l’influence des aînés de la fratrie.
Si l’accompagnement précède l’autonomie, néanmoins, près de la moitié des parents interrogés (46%, jusqu’à 57% au sein des familles monoparentales) indiquent que l’initiation de leur enfant à Internet est intervenue plus tôt que l’âge qu’ils avaient initialement fixé, tandis qu’une même proportion indique que l’âge de l’initiation était bien celui imaginé (47%).
A l’occasion de cette initiation, les premières activités expérimentées par les enfants sur Internet concernent le visionnage de vidéos (44%), les applications créatives (34%), l’écoute de musique (33%), la consultation du site de l’école ou réalisation de devoirs en ligne (29%) et les jeux en ligne (28%).
Deuxième point d’attention, une initiation d’Internet qui s’effectue le plus souvent de manière encadrée au sein du domicile mais…
Si de manière très majoritaire l’usage d’Internet a lieu au domicile de l’enfant et non en extérieur, et plus précisément dans une pièce partagée pour près de 8 parents sur 10, notons tout de même que 21% des parents déclarent que leurs enfants utilisent Internet dans une pièce isolée, une part plus importante parmi les enfants disposant d’un smartphone (35%) et vivant dans une famille recomposée (33%).
Par ailleurs, si la connexion à Internet s’effectue accompagnée pour 2/3 des parents (soit par un adulte soit par un frère ou une sœur plus âgée), 1/3 d’entre eux indiquent que leur enfant a recours à Internet seul. Enfin, si la connexion à Internet de l’enfant est soumise dans 65% des cas à l’autorisation des parents, 33% affirment par ailleurs que leur enfant se connecte librement, des situations encore plus fréquentes, voire majoritaires au sein des familles recomposées.
Au-delà de ces modalités de connexion, l’essentiel du temps passé sur Internet par les enfants âgés de 6 à 10 ans a lieu en fin de journée, c’est-à-dire entre leur retour de l’école (47% se connectent à ce moment) et le dîner (55%). Si ces pratiques sont un peu moins répandues, on relève toutefois qu’1 parent sur 10 indique que leur enfant se connecte le matin avant d’aller à l’école (plus répandue encore dans les familles recomposées), voire le soir avant d’aller se coucher (13%). Des temps d’usage qui s’intensifient et interviennent davantage sur les différentes plages horaires de la journée auprès des enfants disposant de leur propre téléphone portable (46% de cette tranche d’âge en étant équipés selon les parents interrogés – pour la majorité d’entre eux depuis moins de deux ans -, 20% pouvant l’utiliser quand ils le souhaitent, jusqu’à 28% des enfants dans les familles où les parents sont les plus jeunes – 25/34 ans).
Troisième et dernier point d’attention, si les familles recourent majoritairement aux outils techniques permettant de protéger leurs enfants, le type de device utilisé par l’enfant met en évidence une protection qui dans les faits se révèle plus que partielle.
Au-delà d’un corpus de règles adoptées par les familles, une majorité d’entre elles opte en complément pour une solution technique visant à encadrer l’utilisation d’Internet par leurs jeunes enfants. Dans les faits, l’étude indique en effet un recours répandu aux outils dédiés : 73% déclarent avoir mis en place ce type d’outil (contrôle parental notamment).
A ce titre, en matière de contrôle parental les parents attendent prioritairement des solutions leur permettant d’assurer un suivi de l’utilisation que fait leur enfant d’Internet, avec une préférence pour les modalités les moins intrusives : blocage de certaines applications (41%) et filtrage de certains contenus (41%), limitation du temps d’écran (38%), celles permettant la géolocalisation des appareils (17%) ou encore le contrôle des appels et SMS (16%) étant nettement moins plébiscitées.
Si ces démarches sont effectives et qu’elles attestent de la volonté des parents de protéger leurs enfants, de la nécessité d’être vigilants, les résultats de l’enquête interrogent toutefois le caractère efficace et/ou suffisant de ces pratiques et initiatives. Si les familles s’équipent majoritairement de solutions visant à limiter les risques, nous l’avons vu, reste qu’une proportion équivalente de parents (72%) indique que leurs enfants se connectent la plupart du temps à Internet via le smartphone d’un de leurs parents ou celui d’un frère ou d’une sœur plus âgé un équipement potentiellement ou a priori dépourvu du contrôle parental.
Si la prise de conscience est là, si des dispositions sont mises en place au sein des familles pour initier de bonnes pratiques, si les enfants eux-mêmes ont conscience de ces enjeux, la nécessité d’optimiser et/ou d’accroitre les réflexes aujourd’hui mis en place ne couvrant finalement que de manière partielle ou parfois peu efficace les pratiques et usages des enfants paraît indispensable.
Les recherches sur Internet, les échanges avec des proches constituent des moyens souvent mobilisés par les parents pour tenter d’accompagner au mieux leurs enfants, cerner au mieux les bonnes pratiques, ajuster leur manière d’agir. Autant de postures qui, pétries de bonnes intentions, ne sont toutefois pas dépourvues de failles, révélant les fragilités mais aussi les doutes qui semblent traverser ces expériences charnières.
Perçu comme un véritable enjeu d’éducation voire de santé publique, au même titre que l’alimentation ou la santé d’un enfant, le sujet du numérique mériterait selon certains parents d’être érigé au rang de grande cause nationale. Le déploiement d’une action collective et concertée encore plus soutenue, impliquant certes les familles mais également les instances extérieures (écoles, pouvoirs publics, etc.) semble attendu pour porter une appréhension plus optimale et plus efficace de cet accompagnement et de ces usages auprès du plus grand nombre, les familles n’étant de surcroît pas toutes armées ou égales pour faire face à cet enjeu.