Paris, le 4 avril,
La consommation de viande n’a cessé depuis quelques années d’être au cœur de nombreuses controverses. Modes d’élevage, modes d’abattage, impacts sur l’environnement sont autant d’aspects qui interrogent désormais lorsqu’on évoque une consommation pourtant anciennement ancrée dans les mœurs, voire la cuisine Française. Entre nouveaux comportements alimentaires, idées reçues sur la consommation de viande et aspirations pour l’avenir, la seconde vague du « Baromètre sur la consommation de la viande » menée par le Réseau Action Climat veut faire le point sur les évolutions de l’alimentation au cours des deux dernières années. Après une première vague menée dans le contexte particulier de la crise sanitaire et du développement massif du télétravail, cette seconde enquête est particulièrement marquée par un contexte inflationniste qui pousse les Français aux arbitrages. Harris Interactive vous propose dans cette note de synthèse d’explorer à la fois les tendances contextuelles et les mouvements de fonds qui traversent la consommation alimentaire des Français, inscrits aujourd’hui intellectuellement et en pratique dans une démarche de réduction de leur consommation de viande.
Quels sont les principaux enseignements de cette enquête ?
Des Français qui s’inscrivent dans une réflexion à l’égard de leur impact sur l’environnement
Quelle que soit leur catégorie sociale, les Français se sentent aujourd’hui très largement préoccupés (88%) par les enjeux environnementaux, et notamment ceux qui peuvent être liés à leurs modes de consommation (réchauffement climatique, pollution, gaspillage alimentaire et production de déchets par l’homme, biodiversité, etc.). Déjà très installée, cette préoccupation apparaît encore un peu plus importante qu’il y a 2 ans, en hausse de 3 points. Un tiers des Français se disent même « très préoccupés ».
Concernés par l’environnement et conscients de leur impact environnemental (73%), les Français estiment aujourd’hui consommer de manière responsable (86%). La plupart vont même jusqu’à se penser exemplaires, et ce, à nouveau à un niveau en hausse par rapport à février 2021 : 82% (+3 points) estimant que si tout le monde consommait comme eux, les choses iraient mieux pour l’environnement. Une perception en hausse, mais qui laisse toujours transparaitre une certaine fébrilité de conviction : au total, seuls 22% affirment pleinement leur exemplarité en matière de consommation responsable.
Entre convictions environnementales et hausse des prix, une situation d’inflation qui continue d’entamer la consommation de viande des Français
Spontanément, et à l’image de la 1ère mesure de février 2021, les représentations de la viande sont contrastées. Souvent associée à des éléments positifs, nombreux étant ceux qui considèrent la viande comme un aliment de qualité, bon, qu’il est plaisant et même important de consommer, la viande contient également sa part d’ombre dans les expressions spontanées. De nombreux verbatims sont ainsi orientés sur la nécessité d’une modération dans la consommation de la viande, sous-tendue à la fois par des enjeux environnementaux et de bien-être animal. Le poids du contexte s’impose également dès les premières évocations du terme : si cela constituait un sujet un peu plus secondaire en 2021, la perception que la viande est un aliment cher est plus prononcée cette année.
Si les Français se déclarent toujours dans l’absolu autant consommateurs de viande (97% indiquent en consommer au moins de temps en temps), la consommation quotidienne (27%) apparait en baisse de 6 points par rapport à 2021, au profit d’une consommation plus hebdomadaire (62% , + 6 points) qui concerne ainsi la majorité de la population française. Les plus gros consommateurs (au moins une fois par jour) seront à retrouver chez les hommes, les plus jeunes (18-24 ans) et les parents ; pendant que les consommateurs plus modérés (quelques fois par semaine ou moins souvent) sont plus souvent des Français de 50 ans ou plus.
Ce ralentissement léger de la consommation que nous observons dans les pratiques effectives des Français est à positionner dans un contexte où ils sont très nombreux à se positionner intellectuellement dans une démarche de réduction de leur consommation de viande. Déjà en 2021, nous faisions le constat : près de la moitié des Français avaient le sentiment de consommer moins de viande depuis quelques années. Cette tendance se renforce aujourd’hui, 57% (+9 points) déclarant qu’ils ont diminué leur consommation de viande dans les dernières années, notamment les femmes et les plus âgés. Les Français se positionnent ainsi majoritairement dans une démarche (au moins intellectuelle et déclarative) de réduction de leur consommation de viande, que rien ne semble pouvoir inverser pour le moment : 39% (+9 points également) des Français estiment que dans les 3 années à venir, ils diminueront leur consommation de viande.
L’inflation des prix suffit-elle seule à expliquer ces évolutions et tendances ? Tout intime à penser qu’elle n’est qu’une clé d’explication parmi d’autres pour rendre compte de la volonté de ralentissement de consommation de viande chez les Français. Certes, en deux ans, les préoccupations économiques ont pris le pas sur d’autres : la santé, qui constituait la première raison de diminution de la viande en 2021, baisse de 6 points et se retrouve en 2ème position, au profit de l’argument d’une viande « trop chère » (58%, + 25 points).
Mais les représentations des Français s’ancrent dans un contexte plus large et où, on l’a vu, les enjeux environnementaux et de santé occupent une place majeure. S’ils estiment en majorité que manger de la viande au moins une fois par semaine est nécessaire, ils sont aujourd’hui seulement une minorité à considérer qu’il faudrait en manger tous les jours (40%). Tous s’accordent à dire que limiter sa consommation de viande a un impact sur l’environnement (81%) comme sur leur santé (77%). Les représentations qui accompagnent la réduction de la consommation de la viande s’inscrivent ainsi dans une vision plus large que celle du pur argument économique. Si bien que chez ceux qui souhaitent s’engager (ou continuer à s’engager) à l’avenir dans une réduction de leur consommation, l’impact environnemental (45%, +6 points) et le bien-être animal (42%, stable) restent hauts dans les argumentaires, malgré la dominance de l’argument économique (53%, +27 points).
Les légumes secs, une alternative qui s’affirme
Dans une perspective de diminution de leur consommation de viande, les Français identifient plusieurs aliments permettant de compenser l’apport des nutriments de la viande, et privilégieraient les légumes secs et les légumineuses (80%), les céréales et les graines (78%) et les aliments peu transformés (59%) qui en sont issus. La consommation d’algues semble recevoir un accueil plus mitigé (41%) tandis que les préparations très transformées (35%), les viandes de synthèse (26%) et les insectes (21%) représentent des solutions encore peu envisagées pour le moment. Néanmoins, toutes ces solutions (exception faite de la consommation d’insectes) sont un peu mieux perçues aujourd’hui, qu’il y a 2 ans.
La bonne image des légumes secs est partagée par les Français dans leur ensemble tout comme ceux qui sont aujourd’hui engagés dans une diminution de leur consommation de viande. Ils sont loués autant pour leur richesse en fibres et nutriments (92%) ou pour leur goût (85%) que pour leurs avantages en matière économique par rapport à la viande (89%). Ils sont également perçus comme ayant des atouts pour faire face aux grands défis de l’époque : souvent effectuée en France (80%), leur production est perçue comme peu émettrice de gaz à effet de serre (79%). Enfin, ils sont sources de fierté puisque 88% estiment qu’ils reflètent la richesse et la spécificité des terroirs français.
Vers une meilleure alimentation, une attente de l’ensemble des acteurs de la distribution
Aujourd’hui les Français se montrent particulièrement critiques à l’égard de l’ensemble des acteurs impliqués dans la distribution de la viande : tant au niveau de l’Etat, que des entreprises de l’agro-alimentaire que des distributeurs en règle générale. S’ils estiment majoritairement que tous ces acteurs agissent pour améliorer la qualité de la viande, leurs efforts sont généralement perçus comme insuffisants. Un jugement dur, duquel les Français ne s’excluent pas néanmoins : les consommateurs eux aussi sont perçus comme un acteur devant agir davantage dans ses choix pour aller collectivement vers une viande de meilleure qualité.
A noter que les distributeurs alimentaires ne sont pas tout à fait perçus uniformément : les commerçants de proximité et les magasins spécialisés sont un peu mieux perçus (environ 1 Français sur 3 estime qu’ils agissent suffisamment pour améliorer la qualité de la viande consommée par les Français). A l’inverse, la grande distribution, que ce soit au travers des moyennes et grandes surfaces ou des enseignes de proximité, est bien plus critiquée pour son manque d’actions efficaces.
Conformément à leur jugement qui pointe du doigt les failles du secteur, les Français se montrent favorables à de nombreuses mesures qui pourraient être mises en place dans la distribution. Parmi les premiers changements à apporter, 89% des Français attendent que les enseignes de grande et moyenne surface proposent davantage de viande issue d’élevages durables et 83% attendent davantage de viande issue d’élevages certifiés « bio ». Outre l’offre proposée, les Français attendent également que la grande distribution se positionne sur les enjeux économiques et environnementaux, notamment à travers une baisse de leurs marges sur les produits « bio » (88%) et par le rejet de la commercialisation des viandes issues d’élevages intensifs (82%). Moins que de priver le consommateur de certaines options ou promotions sur la viande, il s’agit pour eux de raisonner l’offre dès l’entrée en magasin.
L’Etat, un acteur attendu pour défendre une consommation alimentaire plus responsable
On l’a vu, outre la grande distribution, l’Etat est perçu comme relativement défaillant en ce qui concerne la promotion d’une viande de qualité : 55% affirment que l’Etat et les pouvoirs publics agissent mais pas suffisamment et 30% estiment qu’ils n’agissent pas du tout. Parmi les politiques publiques mises en cause, on retrouve certes d’autres enjeux alimentaires comme la lutte contre l’obésité (68% estiment que l’Etat n’agit pas assez) mais également plusieurs aspects qui concerne la mission d’information de l’Etat à l’égard de la viande : l’impact environnemental de la consommation de viande (58%), ou les alternatives à la viande (61%). Au total, 56% des Français estiment que l’Etat n’en fait pas assez pour encourager les Français à diminuer leur consommation de viande et 62% qu’il n’en fait pas assez pour amener à consommer une viande de meilleure qualité.
Quoiqu’ils dénoncent le manque d’action de la part de l’Etat sur les questions alimentaires, les Français identifient très bien certaines campagnes des autorités de santé, par exemples celles incitant à manger 5 fruits ou légumes par jour (84% en ont entendu parler dont 57% s’en souviennent précisément), ou celles incitant à ne pas manger trop gras, trop sucré, trop salé (79% en ont entendu parler, 49% s’en souviennent très bien). A l’inverse, les incitations à réduire sa consommation de viande ou à consommer davantage de protéines végétales restent beaucoup plus confidentielles, identifiées formellement seulement par un Français sur 5. Les messages des autorités publiques pouvant être bien retenus par les Français, le développement de campagnes sur la consommation de viande et ses alternatives apparait ainsi comme optimisable.
Dans ce contexte de remise en cause de l’action de l’Etat en la matière, les Français accueillent favorablement un très grand nombre de mesures visant l’amélioration de la qualité de l’alimentation via des changements dans la consommation, et notamment la consommation de viande. Les mesures contraignantes visant ainsi à un encadrement des marges de la grande distribution sur les produits « bio » (88%), la limitation des exploitations intensives (85%), ainsi que l’interdiction de la publicité pour les produits les plus nocifs pour l’environnement comme la viande issue des exploitations intensives (83%) sont très bien acceptées par la population. De la même façon les mesures incitatives comme le développement des élevages durables (90%) et le soutien aux agriculteurs bio (87%) sont défendues par les Français. Enfin, si 61% des Français estiment que les pouvoirs publics n’en font pas assez pour servir une alimentation de qualité dans les cantines scolaires, 81% se montrent favorables à l’obligation de proposer des menus végétariens dans les cantines, que ce soit tous les jours (70%) ou 2 fois par semaine (72%).