Paris, le 8 avril,
Comme chaque semaine jusqu’à l’élection présidentielle, Harris Interactive et Toluna ont interrogé pour Challenges les Français sur leurs intentions de vote à deux jours de l’échéance.
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Intentions de vote à quelques jours du 1er tour de l’élection présidentielle 2022
Quelle place aux surprises ?
Depuis plus d’un an et le lancement du plus ancien baromètre (Harris Interactive x Toluna pour Challenges) nous suivons les évolutions des intentions de vote des Français, des motivations de vote, de regards à l’égard des candidats, les mouvements d’opinion, mais aussi leur rapport au scrutin présidentiel et leur propension à aller voter. A quelques jours du 1er tour, quelles sont les indications des intentions de vote ? Les votes sont-ils figés ? Quelles pourraient être les « surprises » ou en tout cas les conséquences des décisions de dernière minute des Français sur l’issue du scrutin ?
Première surprise possible : le niveau de participation
Le premier indicateur qui sera scruté ce dimanche sera bien sûr celui de la participation / abstention. Sur ce point nous mesurons depuis plus d’un mois désormais un indice de participation avoisinant les 70% et qui s’établit même à 73% à quelques heures de la fin de la période de réserve, ce qui correspondrait à une baisse de près de plus de 4 points par rapport à l’élection présidentielle de 2017 (77,77% de participation). Seule l’élection de 2002 avait amené une aussi faible part du corps électoral aux urnes le dimanche (71,60%).
Nous le savons, il est particulièrement difficile d’anticiper le comportement des Français le dimanche 10 avril. Lors de la dernière élection nationale, à savoir les élections européennes de 2019, près de 4 électeurs sur 10 se sont ainsi décidés dans les tous derniers jours avant le scrutin (61% des 18-24 ans et 50% des 25-34 ans). La structure sociologique des votants de la dernière minute avait eu une double incidence : surperformance des listes EELV et LREM et sous-performance de celle LR.
L’indécision était également manifeste dans les derniers jours de la campagne des élections régionales de 2021 (35% des électeurs se sont décidés à aller voter ou à s’abstenir dans les tous derniers jours). En l’espèce, la plus faible participation qu’escompté a été préjudiciable aux listes RN. S’adressant à un public un peu moins politisé du fait de sa structure (jeunes et catégories populaires notamment), les candidatures soutenues par Marine Le Pen ont pâti de l’abstention.
On le voit donc, la participation a, au cours de ces dernières années, soit été plus élevée (européennes) soit plus basse (régionales départementales) que celle mesurée à quelques jours du scrutin et cela avec des incidences nettes sur les résultats électoraux.
Cette indécision est marquée lors de nos dernières enquêtes : 67% des inscrits sur les listes électorales âgés de 18 à 24 ans (soit une grande part des primo-votants à l’élection présidentielle) déclarent pour l’instant être certain d’aller voter et 69% des 25-34 ans. Et au sein même des personnes exprimant une intention de vote dans nos enquêtes on compte entre 10% et 20% d’électeurs n’étant pas certains d’aller voter au 1er tour le dimanche 10 avril.
Le niveau de participation est d’autant plus difficile à appréhender que cette élection s’inscrit dans un contexte d’une campagne écourtée et « minimisée ».
La guerre en Ukraine, les 2 ans de pandémie de Covid-19 et la campagne présidentielle écourtée avec très peu de débats directs entre candidats, participent de cette relative désaffection des Français pour le scrutin présidentiel.
7 Français sur 10 (70%) qualifient ainsi cette campagne de « décevante » et 65% de « ratée ». Seuls 59% des Français déclarent que la campagne présidentielle de 2022 leur a permis de se faire une idée sur les candidats, 48% qu’elle leur a permis de se faire une idée sur les programmes. Plus largement 34% estiment que cette campagne leur a permis d’aborder les problèmes qui les préoccupaient personnellement et 24% qu’elle les a rendus optimistes pour l’avenir de la France. Une perception sévère qui doit néanmoins être relativisée au regard des niveaux mesurés en fin de campagne en 2017 : à un peu moins de deux semaines du 1er tour il y a 5 ans la grande majorité du corps électoral trouvait déjà la campagne « décevante » (80%) et « ratée » (76%).
Un peu plus de la moitié des Français inscrits sur les listes électorales estiment par ailleurs que cette campagne de 2022 est « utile » (56% contre 38% en 2017). Et alors que 7 des 12 candidats se sont déjà présentés devant les Français il y a cinq ans, 50% des électeurs estiment que la campagne de 2022 est « semblable aux autres campagnes » (contre 29% en 2017, qui avait notamment vu l’émergence puis l’élection d’un Président de la République qui n’avait jamais détenu de mandat auparavant). Logiquement, seule une minorité trouve cette campagne de 2022 « intéressante » (38%) ou « enthousiasmante » (25%, contre 12% il y a 5 ans).
Deuxième surprise possible : une accélération des dynamiques d’opinion repérées.
Au-delà de l’incertitude concernant la participation des Français au 1er tour de l’élection présidentielle, restent également plusieurs zones de mouvements possibles entre les différents électorats, à droite comme à gauche.
A quelques jours du 1er tour, Emmanuel Macron est crédité d’un peu plus d’un quart des intentions de vote (27%). Si ce niveau est supérieur à ce que le Président sortant avait recueilli lors du 1er tour de l’élection présidentielle 2017 (24,01%) nous avons observé une dynamique négative pour le Président de la République depuis plusieurs semaines, après une forte hausse liée au début de la guerre en Ukraine puis une légère remontée en toute fin de campagne, probablement liée à une remontée de la participation déclarée. Une forte attention sera apportée aux dynamiques positives dont bénéficient de leur côté Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon. Avec 24% des intentions de vote, la candidate RN dépasserait, elle, son score réalisé en 2017 au 1er tour (21,30%). Jean-Luc Mélenchon recueille à l’heure actuelle 18% des intentions de vote, soit un niveau légèrement inférieur à son score de 2017 (19,58%).
Ces dynamiques inédites en toute fin de campagne s’expliquent par de fortes incertitudes au sein du corps électoral. Notons que cette incertitude des électeurs s’inscrit dans une tendance de fond : la hausse scrutin après scrutin de la fluidité entre les électorats et le recul du temps de la « cristallisation » du vote. Pour rappel, en 2012 un quart des électeurs avaient choisi leur candidat dans les derniers jours. Ils étaient 31% en 2017 à avoir retardé ainsi leur choix (dont 10% avaient arrêté leur décision le dimanche de l’élection, notamment dans l’isoloir). Et en 2019, dernière élection pré-covid, ils étaient même 38% à s’être décidés dans la dernière semaine de campagne.
Désormais cette fluidité ne concerne plus uniquement des publics distants du scrutin mais également des électorats constitués de longue date. Près d’1 électeur sur 5 (20%) exprimant une intention de vote actuellement en faveur d’un candidat déclarent qu’ils pourraient encore changer d’avis. Avec néanmoins de nettes disparités en fonction des familles politiques. Certains électorats se trouvent ainsi particulièrement « solides » à quelques jours du scrutin. C’est le cas notamment des électeurs de Marine Le Pen (86% se déclarent « sûrs de leur choix »), Éric Zemmour (83%) et Emmanuel Macron (86%). Mais, si ces électeurs se déclarent sûrs de leur choix concernant le Président sortant, on relève qu’une petite incertitude subsiste du côté de l’aile gauche de cet électorat : une part non négligeable des électeurs d’Emmanuel Macron se déclarant proches de la gauche politiquement déclarent qu’ils pourraient se tourner éventuellement vers un candidat de gauche comme Yannick Jadot (26% pourraient voter pour le candidat écologiste) et Anne Hidalgo (25%).
De manière générale la sûreté du choix de vote est plus réduite parmi les électorats de gauche : Fabien Roussel (61%) et Anne Hidalgo (66%) pourraient ainsi voir une partie de leur électorat potentiel changer d’avis lors de ce week-end. Des mouvements dont pourrait profiter Jean-Luc Mélenchon. Le leader de la France Insoumise dispose lui d’un électorat relativement stable (78% se déclarent sûrs de leur choix) et d’un potentiel de vote non négligeable au sein des différents électorats de gauche : 47% des électeurs de Fabien Roussel pourraient ainsi se tourner vers Jean-Luc Mélenchon, 42% des électeurs de Yannick Jadot et 39% des électeurs d’Anne Hidalgo, et même 28% des électeurs d’Emmanuel Macron se positionnant politiquement à gauche. Si les électeurs de gauche venaient, durant la période de réserve, à finalement donner leur voix au candidat de l’Union populaire, alors, peut-être, pourrait-il se rapprocher du seuil de qualification au 2nd tour.
Cette hypothèse ne relève cependant pas de l’évidence : il n’est pas possible d’exclure qu’un mouvement inverse puisse se produire, avec des électeurs de gauche choisissant finalement le candidat avec lequel ils auraient le plus d’affinités naturelles : 36% des électeurs de Jean-Luc Mélenchon pourraient également voter pour Yannick Jadot, 26% pour Anne Hidalgo, et 34% pour Fabien Roussel. Et cela dans un contexte où, comme en 2019, la manière dont les jeunes vont se comporter électoralement peut avoir un effet non négligeable sur cette recomposition à gauche (à ce titre, la marche pour le climat organisée samedi 9 avril en pleine période de réserve sera particulièrement scrutée ; en 2019 elle avait permis aux écologistes de bénéficier d’un boost électoral de la part des très jeunes électeurs). D’où la grande incertitude régnant dans l’esprit de ces électeurs de gauche qui n’ayant pas trouvé de candidature naturelle, se retrouvent à devoir faire un compromis dans les derniers jours, voire les dernières heures de campagne.
A droite également les positions pourraient évoluer dans la dernière ligne droite. Si une majorité des électeurs de Valérie Pécresse se déclarent également sûrs de leur choix (71%), plus de 4 sur 10 (43%) pourraient envisager de voter pour Emmanuel Macron. De même, alors qu’Éric Zemmour est engagé dans une dynamique négative dans les intentions de vote depuis le début de la guerre en Ukraine, on relève une forte porosité des électeurs de l’ancien chroniqueur avec Marine Le Pen : 79% des électeurs d’Éric Zemmour déclarent qu’ils pourraient voter pour Marine Le Pen (contre 41% des électeurs lepénistes qui pourraient se tourner vers l’ancien chroniqueur). 84% de ces électeurs indiquent également qu’ils voteraient pour la candidate du RN au second tour si elle était qualifiée. Toute la question que se posent ces hésitants de la dernière heure est la suivante : vont-ils faire passer un message au 1er tour en votant pour Éric Zemmour ou bien dès à présent participer à la dynamique de Marine Le Pen ?
Indéniablement, la progression de Marine Le Pen en fin de campagne a changé une partie de la donne électorale. Dans l’absolu, nous identifions une progression de la représentante du RN. Celle-ci n’est pas sans effet : légère remontée ces derniers jours de l’intention de participer (notamment des jeunes), légère remontée